Chez presque tous les mammifères, les mâles sont plus grands que les femelles. En cas de conflit entre les deux sexes, la logique veut ainsi que le mâle gagne. Une idée reçue que les travaux d’Erica van de Waal, professeure assistante au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, mettent à mal. En collaboration avec des collègues néerlandais, l’équipe lausannoise a démontré que chez les singes vervets, la dominance entre les sexes pouvait pencher du côté des femelles. L’alpha se conjugue donc aussi au féminin ! L’étude est à découvrir dans l’édition en ligne du 14 mai 2020 de la revue « Frontiers in Psychology ».
Professeure assistante boursière FNS au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, Erica van de Waal a fondé en 2010 le « Inkawu Vervet Project », dont elle assure la direction. « Inkawu » signifie « singe » en zoulou, en référence au terrain de recherche en primatologie qui se situe sur terre zouloue, en Afrique du Sud. Ce projet est dédié à l’étude des capacités sociales et cognitives des singes vervets (Chlorocebus pygerythrus) dans leur habitat naturel.
En dix ans de recherche sur ces primates africains, les scientifiques ont exploré des aspects aussi variés que les processus d’apprentissage, la structure sociale, la communication ou l’intelligence. Dans une nouvelle étude qui fait aujourd’hui l’objet d’une publication dans le journal Frontiers in Psychology, l’équipe de l’UNIL s’intéresse à la problématique de la dominance. Avec, à la clé, des résultats qui remettent en cause certains stéréotypes de genre : l’article démontre, en effet, que plus il y a de mâles dans un groupe, plus les femelles deviennent dominantes par rapport à eux.
Qui a parlé de sexe faible ?
« Chez presque tous les mammifères, les mâles sont plus grands que les femelles. Lorsqu'un conflit implique les deux sexes, la logique veut ainsi que le mâle gagne », lance, en guise d’introduction, Erica van de Waal. « Cette vision des choses a fait émerger la notion répandue de mâle alpha dans les groupes de primates, par exemple. »
En analysant sept ans de données issues de quatre groupes de singes vervets du projet Inkawu Vervet, l'éthologue a démontré, en collaboration avec des collègues néerlandais, que la dominance entre les sexes est plus complexe qu'une simple histoire de taille et de force ! Ce résultat a été confirmé par des travaux menés sur deux autres populations de singes vervets : celles des réserves d’Amboseli (Kenya) et de Samara (Afrique du Sud). « Même si les mâles vervets pèsent plus de 5kg et les femelles à peine 4kg, qu'ils possèdent de plus longues canines et sont plus musculeux, nous avons obtenu de nombreuses données révélant que la majorité des groupes avait pour individu alpha une femelle et non un mâle. Dans certains cas même, la dominance entre les sexes penchait du côté des femelles, ce qui veut dire que non pas une seule femelle, mais la totalité des femelles, était en moyenne mieux classée dans la hiérarchie que les mâles! » relève Erica van de Waal, directrice de l’étude.
L’effet gagnant-perdant
En poussant plus loin leurs investigations et en analysant les facteurs pouvant expliquer ce constat, les biologistes ont confirmé une hypothèse de modélisation surprenante : plus il y a de mâles dans un groupe, plus les femelles deviennent dominantes par rapport à eux. Un effet qui semble être dû au mécanisme gagnant-perdant (‘winner-loser effect’ en anglais) : quand il y a plus de mâles dans un groupe, ils se battent davantage entre eux, avec pour conséquence que les perdants vont être pris dans une spirale négative et continuer à échouer dans leurs conflits, même contre les femelles. Ce phénomène, démontré chez de nombreuses espèces dont l'Homme, serait dû à un changement hormonal chez les perdants, dont la testostérone diminue. À l’inverse, les gagnants vont poursuivre leur ascension, bénéficiant d’une probabilité accrue de gagner de futures interactions agressives après avoir connu des victoires.
Le sex-ratio, un facteur-clé de la dominance entre sexes
Au-delà de ce mécanisme gagnant-perdant, les femelles vervets se révèlent être plus solidaires entre elles et davantage enclines à se soutenir dans les groupes avec plus de mâles. Les chercheurs ont en effet observé de plus fortes coalitions entre les femelles dans ce contexte. Et Erica van de Waal de conclure : « Nous en déduisons que la dominance entre les sexes est dynamique ; il est ainsi important de considérer le sex-ratio d'un groupe lorsque l'on questionne la dominance entre les sexes. »