Les singes aussi copient leurs leaders!

Une étude menée par l’équipe d’Erica van de Waal, professeure assistante au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, révèle que, tout comme chez l’Homme, les leaders constituent un modèle pour la transmission des savoirs chez les singes sauvages, indépendamment du lien de parenté, du sexe ou de l’âge. Réalisée au sein d’un groupe de primates Vervet vivant en Afrique du Sud, elle identifie quel type d’individu innove et comment cette nouvelle connaissance est transmise. Les résultats des travaux sont à découvrir dans l’édition en ligne du 23 janvier 2020 de la revue «Nature Communications».

Le singe Vervet, ici dans son habitat naturel en Afrique du Sud, cherche à extraire un morceau de pomme d'une boîte pouvant s'ouvrir de deux manières différentes (couvercle ou tiroir) © Charlotte Canteloup, DEE-UNIL

Professeure assistante boursière FNS au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, Erica van de Waal a fondé et dirige depuis 2010 le «Inkawu Vervet Project». «Inkawu» signifie «singe» en Zulu, en référence au terrain de recherche en primatologie qui se situe sur terre Zulu, en Afrique du Sud. Ce projet est dédié à l’étude des capacités sociales et cognitives des singes Vervet (Chlorocebus pygerythrus) dans leur habitat naturel.

Les singes sauvages étaient libres de participer à l’expérience

Les travaux qui font aujourd’hui l’objet d’une publication dans la revue Nature Communications s’inscrivent dans le cadre de ce projet. La DreSc. Charlotte Canteloup, postdoctorante dans l’équipe d’Erica van de Waal et première auteure de l’article, a réalisé une expérience dite de «diffusion ouverte» au sein de deux groupes de singes Vervet sur le terrain en Afrique du Sud.

Dans le détail, l’expérience consistait à disposer huit boîtes identiques (pouvant s’ouvrir de deux manières différentes, soit en soulevant le couvercle, soit en ouvrant le tiroir), tôt le matin, sur le site de repos des singes, qui étaient libres de venir participer à l’expérience à leur réveil. Ces boîtes, qu’ils n’avaient jamais vues auparavant, contenaient chacune une rondelle de pomme, récompense alimentaire convoitée en saison hivernale de disette. Charlotte Canteloup a regardé quel singe a réussi en premier à obtenir le fruit, grâce à quelle technique et par qui il était observé.

Autant de mâles que de femelles chez les innovateurs

Dans les deux groupes que la biologiste a étudiés, les innovateurs se sont révélés être des singes dominants, sans distinction de genre: dans l’un, une femelle et, dans l’autre, un mâle. Les individus dominants étant souvent ceux qui monopolisent les ressources, la jeune chercheuse a proposé simultanément plusieurs boîtes aux singes lors d’expériences répétées afin d’éviter qu’un seul animal dominant empêche les autres de participer.

Charlotte Canteloup, en collaboration avec le DrSc. William Hoppitt de l’Université de Leeds, en Angleterre, a ensuite analysé les données grâce à une méthode récente de modélisation statistique appelée «Analyse de Diffusion Basée sur le Réseau». Cet outil a permis de recréer informatiquement le réseau d’observation dynamique des singes, c’est-à-dire «qui a observé qui faire quoi». Il a révélé que les singes ont bien appris les uns des autres, par observation, comment résoudre la tâche. «Cette méthode nous a également permis de simuler la diffusion des savoirs en testant l’effet simultané de plusieurs biais de transmission possibles – c’est-à-dire si les primates apprenaient plutôt des membres de leur famille, des femelles, des individus plus âgés ou de plus haut rang social –, ce qui n’avait encore jamais été réalisé chez cette espèce», commente Charlotte Canteloup.

Le rang hiérarchique, un critère prépondérant

Les chercheurs ont découvert que les singes copient… leurs leaders, indépendamment du lien de parenté, du sexe ou de l’âge! «Selon nos observations et nos résultats, le facteur dominant pour qu’un individu soit copié est son rang hiérarchique; la transmission des techniques d’ouverture de boîtes s’est ainsi faite depuis les individus de plus haut rang social vers les individus de plus bas rang social», rapporte Charlotte Canteloup.

Comment expliquer un tel résultat alors que les singes dominants n’ont, selon les expériences réalisées, pas été plus observés que les singes dominés? «L’observation d’un individu de plus haut rang social a eu davantage de poids que l’observation d’un singe de plus bas rang social, analyse Erica van de Waal, directrice de l’étude. Dans les sociétés humaines, les leaders d’opinion et les décideurs jouent un rôle crucial dans la propagation des mœurs. Nos découvertes chez les singes Vervet suggèrent que ces règles puisent leurs racines dans l’évolution, que nous partageons avec nos cousins primates. Elles amènent une autre pièce au puzzle des règles d’apprentissage social chez les singes Vervet.»

Apprendre en groupe pour mieux apprendre ensuite par soi-même

Les scientifiques rapportent également dans leurs travaux qu’après avoir appris socialement une des deux techniques d’ouverture de la boîte, les singes ont plus de chances (d’un facteur de 31 fois) de faire preuve de flexibilité et d’acquérir la seconde méthode de manière asociale, c’est-à-dire par eux-mêmes. «Même si de nombreux individus ont appris les deux techniques au cours de l’expérience, ils avaient pour la plupart une préférence. Cela montre que l’apprentissage social d’une technique promeut l’apprentissage asocial de l’autre. Un point intéressant qui remet en question l’idée répandue que seul un processus d’imitation impliquant une copie à l’identique peut générer des comportements culturels», conclut Charlotte Canteloup.

Qu’en est-il chez l’Homme?

Erica van de Waal et son équipe ont commencé des expériences avec des enfants en collaboration avec L’éprouvette, le laboratoire public de l’UNIL, afin d’adapter à l’Homme certaines expériences d’apprentissage social réalisées sur les singes Vervet.

Publié du 23 janvier 2020 au 23 février 2020
par Manuela Palma de Figueiredo - Communication FBM
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