Professeur assistant de l’UNIL et médecin adjoint au CHUV, Yannick Muller mène de front son activité clinique et ses recherches en thérapie cellulaire dans le domaine des maladies auto-immunes et des allergies.
L’immunologie est une tradition lausannoise, au moins depuis les années 60. En 2019, la création du Centre d’immunologie humaine de Lausanne (CHIL) venait couronner ces décennies d’efforts, de recherches, structurant une discipline qui avait essaimé et s’était développée en parallèle au sein de plusieurs spécialités : en dermatologie, en allergologie, en oncologie, en pneumologie, etc. Et en 2022, le CHIL connaissait le grand frisson : sa promotion comme Centre d’excellence de la FOCIS, la prestigieuse Federation of Clinical Immunology Societies.
Une promotion qui ouvre des portes. Et le gardien des clés, c’est Yannick Muller, jeune professeur assistant de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’UNIL, et médecin adjoint au sein du Service d’immunologie et allergie du CHUV. Arrivé en 2020 après une formation à Genève et en Californie, Yannick Muller dirige le FOCIS Center of excellence (FCE) lausannois. « L’immunologie est une discipline par définition très multidisciplinaire, transversale, on peut même la voir comme un « liant » entre les spécialités, explique ce dernier. On en fait un peu partout, en maladies infectieuses, bien sûr (avec le COVID), mais aussi en oncologie, comme en témoigne d’ailleurs le PhD en « cancer et immunologie » délivré par l’Ecole doctorale de la FBM, en dermatologie, en neurologie, en néphrologie, en gastro-entérologie, ou encore en pneumologie. Et la tendance, la volonté actuelle est de regrouper tout cela, au niveau clinique, en renforçant aussi l’immunologie fondamentale à des fins diagnostiques et thérapeutiques. Consolider la plateforme et définir une vision commune feront partie de mes objectifs », ajoute le directeur du FCE.
De la transplantation à la thérapie cellulaire
La multidisciplinarité est le fil rouge de la carrière de Yannick Muller qui, avant son arrivée au CHUV, a fait ses premières armes dans la transplantation – il y a consacré sa thèse. « C’était déjà un monde très multidisciplinaire, regroupant de nombreuses spécialités, comme les chirurgiens, les spécialistes des maladies infectieuses, les spécialistes des organes - néphrologues, hépatologues, cardiologues, pneumologues – et bien sûr les immunologues. Il y a, en transplantation, la nécessité d’un travail d’équipe, de cohésion, ce que je retrouve en immunologie. »
Mais Yannick Muller est d’abord un chercheur-clinicien. Aux Etats-Unis, à l’Université de San Francisco, il a effectué une formation postdoctorale dans le domaine de la thérapie cellulaire et de l’ingénierie génétique – c’était entre 2017 et 2020. Et le développement de thérapies innovantes est une des principales raisons d’être du CHIL/FCE.
Pour lui, il y a un avant et un après 2012 : « C’est une année charnière, à plus d’un titre : on y a salué une rémission complète après thérapie cellulaire à base de cellules CAR-T* dans la leucémie, et aussi la découverte de la technologie CRISPR-Cas9. » L’apparition de ce « ciseau moléculaire », développé par les chercheuses nobélisées en 2020 Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, donnait en effet un sérieux coup de fouet au gene editing, l’édition de gène.
Deux types de lymphocytes T
Et aujourd’hui, c’est sur les thérapies cellulaires, à l’aide de CRISPR-Cas9, que travaille le « Muller Lab », le laboratoire de Yannick Muller, qui a reçu des financements importants de la Fondation Gabriella Giorgi-Cavaglieri en 2021 et du FNS en 2022.
La thérapie cellulaire consiste à isoler, à partir du sang, des lymphocytes T, à les modifier génétiquement, à les multiplier ex-vivo, puis à les réinjecter au patient comme traitement biologique immuno-modulateur. « Il faut distinguer deux types de lymphocytes T : il y a d’abord les cellules cytotoxiques, celles qui tuent ; il y a ensuite les cellules régulatrices, auparavant appelées « suppressives », qui régulent les premières. » Autrement dit, un genre de « police des polices » chez les globules blancs.
Et c’est sur ces cellules T régulatrices que se concentrent les travaux du Muller Lab : « Nous travaillons à des traitements contre certaines maladies auto-immunes, ainsi que des allergies qui présentent un asthme sévère. L’avantage des cellules régulatrices, c’est qu’elles ont moins d’activité cytotoxique, donc d’effets secondaires, et qu’elles ne prolifèrent pas ; ces propriétés, très intéressantes dans le contexte des maladies auto-immunes, sont en revanche, il faut le noter, non souhaitables dans d’autres indications, comme l’oncologie, où on cherche au contraire à renforcer la réponse immunitaire. »
Quels atouts revêt en outre la thérapie cellulaire par rapports aux « biologiques », aux anticorps monoclonaux déjà disponibles pour faire face à nombre de pathologies ? « Un des avantages des cellules, c’est qu’elles migrent mieux dans les tissus que les anticorps, des complexes protéiques, dont la diffusion est passive », explique l’immunologue.
Mais jusqu’à récemment, l’application de la thérapie cellulaire aux maladies auto-immunes avait été différée, par crainte d’effets indésirables importants, potentiellement létaux. Cela a changé en 2021, quand un chercheur en Allemagne, Georg Schett, a utilisé de façon concluante des cellules CAR-T contre le lupus. Un essai clinique démarrera prochainement au CHUV, dans le cadre d’une grande étude multicentrique dont Yannick Muller sera le responsable de site. Et il voit d’autres indications potentielles, comme la sclérodermie.
L’allergologie, une spécialité qui démange peu…
A l’hôpital, le médecin adjoint partage son temps entre l’immunologie clinique et l’allergologie. C’est d’ailleurs lui qui chapeaute le « pôle » allergies du CHUV, gagnant, avec le retour des beaux jours, une belle exposition médiatique. Pour autant, estime Yannick Muller, l’allergologie est « un parent pauvre en médecine ; la discipline attire peu les jeunes médecins, plus intéressés par les maladies rares, difficiles à traiter ; on a tendance à banaliser l’allergie – « on peut vivre avec » –, et par extension l’allergologie ».
C’est pourquoi il cherche à mettre en lumière la discipline. La vaccination de masse contre le COVID a été l’occasion pour l’unité de se mettre en valeur : c’est elle qui a permis la vaccination des sujets à risque d’anaphylaxie, mais aussi de mieux comprendre les effets indésirables.
Toutefois Yannick Muller l’admet : « L’innovation manque quand on parle de rhume des foins par exemple ; on peut citer la désensibilisation par voie sublinguale, éventuellement certains traitements biologiques pour les cas sévères avec asthme ou polypose naso-sinusienne, mais c’est à peu près tout. » Le changement climatique va-t-il changer la donne ? Est-ce que les allergies, aux pollens notamment, augmentent ? « Il est difficile de répondre scientifiquement à cette question : étudier la population sans biais de sélection est difficile, mais on constate certainement une augmentation des plaintes, dont on peut inférer une hausse tendancielle des cas. » Le médecin reste prudent : il met en avant le changement de perceptions et de connaissances entre les époques qui rend délicate toute comparaison. Il rend aussi attentif au fait que derrière une allergie peuvent se cacher d’autres problèmes tels que des douleurs chroniques, de la fatigue et un épuisement psychique qui peuvent diminuer le seuil de tolérance et influer sur le ressenti des allergies : « Il est important de pouvoir évaluer les patient·e·s dans leur globalité et ainsi éviter de sur-diagnostiquer et sur-traiter ».
* Pour « chimeric antigen receptor-T cells », ou cellules T à récepteur antigénique chimérique: il s’agit de lymphocytes T prélevés au patient par une prise de sang, modifiés génétiquement en laboratoire, puis réinjectés.