Les pires espèces invasives, peu téméraires pour s’aventurer dans de nouveaux climats

Au fil des siècles, de nombreuses espèces se sont dispersées à travers le globe par le biais des déplacements humains et du commerce de marchandises. On estimait jusqu’à présent que les plus invasives d’entre elles devaient être dotées d’une plus grande capacité d’adaptation à de nouveaux climats. Dans un article publié le 15 octobre 2020 dans la revue « Nature Communications », Cleo Bertelsmeier et Olivia Bates du Département d’écologie et évolution de l’UNIL bousculent cette idée reçue : les espèces les plus dangereuses seraient en fait les moins expansionnistes.

La fourmi folle jaune, Anoplolepis gracilipes, est une des pires espèces invasives. Elle est présente sur plusieurs continents, mais envahit surtout des zones climatiques qui ressemblent à son aire native. © Alex Wild – Université du Texas

L’intensification de la mondialisation du commerce et du tourisme a facilité la dispersion accidentelle de plus de 16’000 espèces (insectes, mammifères, oiseaux, reptiles, champignons et micro-organismes) en dehors de leur zone native. Une partie de ces espèces est considérée comme ‘invasive’ car elle peut causer le déplacement et l’extinction d’espèces autochtones. Ces individus néfastes ont, en outre, des impacts majeurs sur le fonctionnement des écosystèmes, l’économie et la santé humaine, notamment par le biais de l’introduction de zoonoses (maladie ou infection naturellement transmissible des animaux vertébrés à l’Homme). Un défi majeur consiste à comprendre pourquoi seules certaines espèces deviennent invasives. Une explication très répandue est que celles-ci seraient plus ‘flexibles’ et auraient une ‘plus grande capacité d’adaptation’ à de nouvelles conditions environnementales, auxquelles elles sont confrontées quand elles quittent leur aire native.

Les fourmis les plus invasives sont paradoxalement les plus conservatrices

Cleo Bertelsmeier, professeure assistante au sein du Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, et sa doctorante Olivia Bates, ont testé si les espèces introduites les plus invasives sont les plus aptes à coloniser de nouveaux climats. Pour ce faire, les biologistes ont évalué, en collaboration avec un chercheur français, le DrSc. Sébastien Ollier du Laboratoire Ecologie, Systématique, Evolution de l’Université Paris-Saclay, la niche climatique (l’ensemble des conditions climatiques où l’espèce est présente) de 82 espèces de fourmis provenant du monde entier.

A la clé, des résultats inattendus : « Nous avons pu démontrer que les espèces les plus néfastes pour l’Homme et l’environnement s’aventurent paradoxalement le moins dans des climats auxquels elles ne sont pas exposées dans leur zone native. En d’autres termes, les espèces les plus dangereuses sont plus ‘frileuses’ et moins ‘expansionnistes’ que les autres », commente Cleo Bertelsmeier, qui a dirigé l’étude publiée dans Nature Communications. Ces résultats remettent ainsi en cause l’idée reçue que les espèces invasives seraient de meilleures pionnières vers de nouveaux climats.

Qui dit conservateur dit prévisible !

Ces résultats constituent une bonne nouvelle, comme le relève Olivia Bates, première auteure de l'article: « Puisque les espèces invasives les pires sont peu enclines à coloniser de nouveaux climats, leur propagation spatiale est prévisible ! Il suffit de se baser sur l’ensemble des conditions climatiques dans leur aire native pour élaborer un modèle prédictif (modèle de niche) qui identifie les endroits sur Terre présentant des conditions climatiques similaires, propices à l’espèce. »

En revanche, ceci n’est pas le cas pour des espèces introduites peu invasives qui, elles, ont tendance à explorer des climats différents de leur zone native. « Comme les menaces de ces espèces peu invasives sur la conservation de l’environnement sont moindres, on peut considérer que c’est un résultat encourageant », conclut Cleo Bertelsmeier.

Publié du 15 octobre 2020 au 22 novembre 2020
par Cleo Bertelsmeier (DEE) & Communication FBM
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