English Français
Un nouveau modèle, développé par des chercheurs de l’Ifremer et de l’Université de Lausanne et publié dans la revue Nature Ecology and Evolution, réévalue la part des espèces terrestres et marines menacées d’extinction par le changement climatique.
Alors que les modèles traditionnels estiment que la diversité d’espèces terrestres dans les zones tropicales pourrait diminuer de 54% d’ici 2041-2060, les prédictions de ce modèle se révèlent plus modérées en prévoyant une diminution de 39%. Cette proportion reste alarmante et confirme l’importance de prendre des mesures urgentes pour atténuer les changements climatiques et leurs impacts sur la biodiversité.
Aujourd’hui, les températures sur Terre varient d’environ -70°C en Antarctique à +48°C à l’équateur. Ces «limites climatiques» qui existent actuellement sur notre planète ont de tout temps évolué. Il y a 130 000 ans, au cours de la dernière ère interglaciaire, le climat était par exemple plus chaud et semblable à celui que l’on pourrait connaître d’ici la fin du siècle. Les espèces qui ont évolué à cette période pourraient être ainsi «pré-adaptées» aux changements à venir. Or, jusque-là, les modèles statistiques prévoyant la réponse des espèces au changement climatique ne considéraient pas ce potentiel de préadaptation, ce qui pouvait fausser leurs prédictions.
«Prenons l’exemple d’une espèce tropicale marine ou terrestre: les modèles statistiques traditionnels prédisent qu’elle disparaitra dans les endroits où la température dépassera la limite chaude actuelle de 48°C. Mais cette vision pourrait être trop restrictive car notre connaissance est limitée par l’étude des conditions climatiques actuelles. Cette espèce pourrait-elle vivre avec une température de l’air de 50°C? Ou dans une eau plus chaude ou plus salée? Sous l’effet du changement climatique, de telles conditions pourraient réapparaître et conduire à un agrandissement de la niche climatique de certaines espèces», explique Mathieu Chevalier, chercheur en écologie marine à l’Ifremer.
«Lorsqu’une espèce est "marquée" par des conditions climatiques, elle garde en effet une préadaptation à ces conditions qui peut perdurer sur des milliers voir des millions d’années. Si son habitat évolue vers un climat que l’espèce a déjà connu par le passé, cette préadaptation lui offrira alors une tolérance à ces nouvelles conditions climatiques», ajoute Antoine Guisan, professeur d’écologie spatiale à l’Université de Lausanne.
Les scientifiques de l’Ifremer et de l’Université de Lausanne ont appliqué leur modèle à près de 25'000 espèces terrestres et marines – incluant des animaux et des plantes – du monde entier pour lesquelles l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN) fournit des cartes de distribution géographiques. En croisant dans leur modèle ces données avec des scénarios d’évolution future du climat (GIEC/CMIP5), ils ont constaté que 49% de ces espèces vivent actuellement dans des niches climatiques contiguës («collées») aux limites des conditions climatiques actuelles et que 86% d’entre elles pourraient avoir une niche susceptible de s'étendre au-delà des limites climatiques actuelles. Un chiffre qui grimpe à 92% pour les espèces marines.
«Le résultat le plus frappant concerne les zones tropicales, terrestres et marines. Il est communément admis que le changement climatique y entrainera une disparation massive de la biodiversité, jusqu’à 54% des espèces tropicales terrestres d’ici 2041-2060 d’après les modèles traditionnels. Notre modèle relativise ce pronostic et prédit une diminution de "seulement" 39% de la diversité d’espèces», annonce Mathieu Chevalier.
Est-ce à dire que c’est une bonne nouvelle? Clairement non. Les scientifiques recommandent de rester prudents: cette estimation de la biodiversité menacée reste alarmante et le climat n’est pas la seule variable à prendre en compte pour avoir une prédiction réaliste du risque d’extinction des espèces. Il faut aussi considérer d’autres pressions anthropiques, comme la perte d’habitats, la pollution, la surexploitation ou encore les invasions biologiques. Même si certaines espèces sont pré-adaptées aux conditions futures, elles ne pourront pas survivre si leur habitat disparaît. Dans l’idéal, il faut prendre en considération l’ensemble de ces aspects mais ici, les scientifiques se sont concentrés sur les aspects climatiques dont ils connaissent les conditions passées.
«Notre étude montre qu’il est important d’affiner sans cesse nos modèles, de prendre en compte de nouvelles hypothèses sur la réponse possible de certaines espèces. Si cela vaut pour les espèces tropicales qui pourraient mieux tolérer le changement climatique que prévu, les anciennes estimations restent valides pour les espèces des régions froides, alpines et polaires, et dans une large mesure, pour les espèces des zones tempérées, car le climat qui règne actuellement à ces endroits n’existera plus d’ici 2041. Ces espèces vivent déjà à la limite de leur niche climatique et ne seront pas en mesure de tolérer des températures significativement plus chaudes. Ça, c’est une certitude!», prévient Olivier Broennimann, chercheur en écologie spatiale à l'Université de Lausanne.
>> Lire le communiqué de presse (en anglais)
Article:
Chevalier, M., Broennimann, O. & Guisan, A. Climate change may reveal currently unavailable parts of species ecological niches. Nature Ecology & Evolution (2024). https://doi.org/10.1038/s41559-024-02426-4