Dans ce troisième et dernier volet de ses aventures entrepreneuriale, Yann Poirier nous livre son ressenti sur ses 14 années passées en Chine, mais également son avis sur les perspectives de ce pays.
Comme mentionné dans l’épisode précédent, vous ne connaissez pas la Chine quand vous vous y installez en 2009 et vous l’imaginez uniquement à partir de ses stéréotypes. Quelle a été votre première impression de Shanghai ?
C’était spectaculaire quand j’y pense, car mon ignorance sur la Chine était totale. En arrivant à Shanghai en 2009, c’était une année avant l’exposition universelle. Il y avait des grues partout, la ville se faisait belle. J’avais vécu à New York étant jeune, mais là je me retrouvais à New York en 2050, beaucoup plus propre, beaucoup plus moderne.
Comment s’est déroulée votre intégration en Chine ?
D'abord, il y a la barrière linguistique. J’ai mis 6 mois avant de pouvoir m’en sortir et commencer à communiquer et avec 3 mois de cours privés j’ai atteint un niveau de survie. Ayant déjà vécu dans plusieurs pays étrangers, j'étais habitué à m'intégrer sans imposer ma culture. Plutôt que de chercher à rejoindre des communautés françaises, j'ai apprécié la diversité des nationalités. Cette diversité inclut non seulement les expatriés, mais aussi les locaux. Tout le monde vient à Shanghai pour travailler et s'amuser, mais Shanghai n'est pas représentative de toute la Chine.
La Chine a connu d’énormes changements ces dernières années avec, par exemple, l’abandon presque total du cash et des cartes de crédit au profit des payements par téléphone. Quelles ont été les grands changements que vous avez pu observer durant ces 14 années à Shanghai ?
Tellement nombreux. Un exemple, j'ai vu l'avènement des smartphones en Chine. Les consommateurs chinois sont ouverts aux nouvelles technologies, sans barrières ni résistance. Les Chinois sont en quelque sorte des consommateurs vierges. WeChat est arrivé vers 2011 et je ne connais pas une plateforme aussi efficace. Ils ont copié des plateformes existantes, mais ils ont fait en mieux.
Dans votre précédente réponse, vous avez mentionné que les Chinois ont copié mais ont amélioré. On entend parfois la phrase : Les États-Unis innovent, la Chine copie et l'Europe régule. Qu’en pensez-vous ?
La Chine est à un tournant, visant à établir ses propres normes technologiques plutôt que de dépendre des standards occidentaux. Pour cela, leur recherche doit être à la hauteur de leurs ambitions avec des brevets de qualité. Il y a 10 ans, la protection intellectuelle était quasi-inexistante en Chine. On pouvait acheter des contrefaçons au centre-ville, mais cela a changé. Consciente de son potentiel d'innovation, la Chine s'est engagée à protéger ses marques et sa propriété intellectuelle. Par exemple, Huawei a été précurseur dans le domaine de la 5G, ce qui a incité les États-Unis à réagir pour ne pas être devancé. Je pense par exemple que la Chine deviendra un constructeur mondial de voitures électriques.
Que pensez-vous des opportunités pour des étrangers en Chine, où certains entrepreneurs étrangers affirment que tout est compliqué mais tout est possible, tandis qu'en Europe tout est facile mais rien n'est possible ?
Je ne connais pas beaucoup de réussites d’entrepreneurs français à Shanghai, malgré de nombreuses tentatives naïves de gagner beaucoup d’argent. En raison d’un taux de chômage élevé parmi les jeunes et de restrictions accrues sur les visas, les opportunités pour les étrangers sont de plus en plus rares, même pour ceux qui possèdent des qualifications spécifiques. La cote pour les étrangers n’est plus la même et le mandarin devient souvent un prérequis indispensable. Quelques opportunités subsistent pour les étrangers qualifiés, mais il faut avoir de la chance.
Qu’est-ce qui crée cette difficulté de faire du business en Chine et de vraiment réussir ?
En général, faire des affaires dans un pays étranger est plus difficile. En tant qu'étranger, nous sommes désavantagés par rapport aux Chinois, qui attachent une grande importance aux relations, créant ainsi une barrière naturelle. De plus, la réglementation changeante et draconienne, souvent défavorable aux étrangers, pose un autre défi.
Maintenant que vous êtes de retour en Europe. Qu’est-ce qui ne vous manque pas de travailler en Chine ou de façon générale ?
Professionnellement, la Chine offrait principalement des aspects positifs. Cependant, l'utilisation d'un VPN était nécessaire pour accéder à des informations internationales, ce qui peut être contraignant. Le contrôle exercé sur nos actions était également notable, même si l'on ressentait une certaine liberté à Shanghai. Le processus d'enregistrement obligatoire à la police à l'arrivée et le sentiment constant d'être surveillé ne sont pas regrettés.
En Europe et en Suisse, nous avons de nombreux préjugés sur la Chine. Si vous deviez en déconstruire un, lequel serait-ce ?
La confiance ! Beaucoup en Europe craignent d'être arnaqués par les Chinois et qu’ils ont toujours quelque chose derrière la tête. Pour moi, ça a été complétement l’inverse, ils tenaient leurs engagements. Mes deux seuls impayés en Chine sont des Français.
Pour conclure, qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la Chine ?
C’est le ras-le-bol de la Chine et du fait que la pandémie de COVID-19 semblait interminable. Pendant le confinement à Shanghai, nous étions sur l'île de Hainan et nous observions la situation en Chine. On s’est dit on doit quitter la Chine. Si je n'avais pas vécu la période faste de Shanghai il y a 10 ans, je m'y installerais sans hésiter aujourd'hui. C'est une ville dynamique avec une qualité de vie exceptionnelle au cœur d'une mégalopole de 25 millions de personnes, une combinaison unique au monde.
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