Dans le cadre de notre partenariat avec Swissnex China, notre ambassadeur Loïc de Prado a rencontré Yann Poirier, Alumnus de HEC Lausanne, pour évoquer son parcours professionnel atypique, de Paris à Shanghai en passant par Lausanne et la Tanzanie. Découvrez la 2ème partie de leur entretien.
Après vos deux années d’études à HEC Lausanne, quelle a été la suite de votre parcours professionnel?
L’investment banking semblait naturellement correspondre à ce que j’aimais faire avec mes deux casquettes de financier et d’entrepreneur. Je monte donc une petite structure avec un ami pour faire des opérations de fusions et acquisitions, mais en 2008, la crise est financière arrivée. Je ne voyais pas rester dans cette situation et je me suis dit que ma vie professionnelle n’était pas terminée et que je devais sortir de ma zone de confort.
Vous devenez banquier d’entreprise en apportant du conseil aux entreprises sur leur croissance externe et leur financement. Comment votre échec passé a été perçu dans le monde professionnel?
J’avais été assez visible avec le projet Moringa, il y avait eu des articles et j’avais fait des conférences. Je ne cachais pas cet échec que je voyais plus comme une prise d’expérience. J’ai peut-être perdu des prospects, mais je n’ai jamais eu à faire face à du mépris à titre professionnel. Je n’ai pas ressenti le besoin de quitter la Suisse pour ces raisons-là, c’était la conjoncture et un changement de vie personnel qui m’ont poussé au départ.
Vous décidez donc de quitter la Suisse en 2009 pour vous installer en Chine. Qu’est-ce qui vous motive à choisir cette destination?
Je voulais partir aux Etats-Unis, mais un de mes amis m’a dit que je devrais aller faire un tour en Chine, car il régnait un dynamisme incroyable. Moi à l’époque, je ne connaissais rien de la Chine. J’y suis donc allé, et avec mon esprit entrepreneurial, je me suis demandé d’instinct qu’est-ce que je pouvais y faire. J’ai découvert Shanghai que j’ai adoré et j’ai signé un bail à loyer de 2 ans le lendemain de mon arrivée.
Quelle a été votre première activité en Chine?
Ma première mission en Chine a été de liquider des sociétés acquises par un fonds italien. En 2010, avec la crise financière Italienne et le besoin de recapitaliser les fonds propres des banques, j’ai dû revendre les participations du fond pour rapatrier les fonds. Parmi les fournisseurs des entreprises que je devais liquider, certains ont remarqué ma manière de faire et m’ont demandé de les aider à lever de l’argent par la suite. La croissance des entreprises chinoises était phénoménale à cette époque, et les banques n’étaient pas équipées pour prêter de l’argent. Il fallait trouver des investisseurs prêts à apporter de l’argent au capital et à devenir actionnaires. C’est là que j’ai constitué une première société d’accompagnement de sociétés, SwissFi.
En 2013, dans le sillon de SwissFi, vous lancez Investment Partner. Avec cette nouvelle entreprise vous prenez une dimension internationale, pouvez-vous nous expliquer ses activités?
Investment Partner me permet de passer à la vitesse supérieure. Nos activités de fusions acquisitions se concentraient initialement principalement entre la Chine et l’Europe, puis nous avons élargi notre réseau international.
Actuellement nous avons 25 mandats sur des domaines complétements différents, comme l’éolien, l’agricole ou encore la cosmétique. Notre structure se distingue des autres entreprises de M&A, car nous avons une vraie présence en Chine, avec un bureau et une équipe solide sur place. Ensuite, nous avons notre propre système CRM qui gère notre base de données, nos deals et permet de faire des matchmakings entre des mandats et de potentiels investisseurs en fonction de leurs investissements passés. Enfin, nous avons un programme Partner qui permet de rémunérer les gens qui nous apportent des deals.
En tant qu’entreprise de M&A, j’imagine que vous avez pu identifier les tendances de marché aux vues des transactions et de leur direction. Quels constats avez-vous pu faire sur l’évolution du marché Chinois?
Autrefois, les entreprises européennes investissaient en Chine, considérée comme la première économie mondiale. Depuis le COVID, la tendance s'est inversée. Ça reste unique ce que le pays a réussi à créer comme richesse, mais l’immense marché domestique promis depuis 15 ans, grâce à une classe moyenne plus importante, stagne. Cette situation pousse des entreprises prospères à chercher des opportunités à l'étranger, notamment en Europe. Une différence majeure est l'implication croissante de PME chinoises dans cette diversification internationale.
Il y avait déjà eu un rachat massif d’entreprises européennes dont plusieurs fleurons. Est-ce qu’il n’y a pas une crainte et un protectionnisme grandissant de la part des pays européens envers ces rachats chinois massifs?
Les Chinois ont perdu en crédibilité dans ces transactions. Certains rachats ont été des réussites, mais d'autres ont été marqués par des abus et un comportement inadéquat. Par exemple, l'acquisition de vignobles français par des Chinois ne serait plus possible aujourd’hui. De nombreux amateurs chinois ont tenté leur chance, mais beaucoup ont disparu sans laisser de trace. Certains investissements étaient motivés par le prestige, mais face au choc culturel et aux problèmes financiers, ils ont manqué à leurs responsabilités.
Quels ont été les domaines d’activité les plus dynamiques pour les fusions et acquisitions?
Il y a des cycles clairs en Chine car c’est indiqué dans le plan quinquennal du pays. C’est donc simple de suivre les tendances telles que la logistique, la robotique, tous les outils qui peuvent venir améliorer leur production et apporter de la plus-value à leurs produits. Quand j’ai démarré, c’était tout ce qui améliorait et poussait à la consommation qui était très prisé.
On entend qu’il est parfois difficile de faire du commerce avec les Chinois et que le réseau est indispensable. Quelles ont été vos expériences?
Malgré les avertissements sur la complexité des négociations et du business qui repose soi-disant sur le "Guanxi" (le relationnel), mes 14 ans d'expérience montrent que ce n’est pas totalement vrai. La plupart sont pragmatiques, prennent des décisions rapides et privilégient le consensus dans les contrats. Je me suis retrouvé une fois au tribunal lorsque je liquidais une compagnie et le juge nous a demandé si nous étions sûrs de n’avoir pas réussi à trouver une solution avant de recourir à la justice. Travailler avec eux n'a pas été très difficile, une fois qu’ils comprennent leurs intérêts, on avance tous dans la même direction.
Avez-vous une anecdote en lien avec la création de votre entreprise ou votre vie professionnelle en Chine?
Oui, mon premier contrat avec les Chinois. Un jour après la signature d’un contrat pour une acquisition, les avocats chinois m’appellent pour m’indiquer qu’ils y avaient changé une page. J’ai trouvé ça pragmatique, car ça démontre ce que je disais ; le contrat c’est un début de négociation en Chine.
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