Spécialiste du microbiote, la professeure assistante à la FBM ne conçoit sa recherche qu’en associant approches fondamentale et clinique, menant ses investigations sur le terrain auprès de populations vulnérables en Afrique et en Asie. Rencontre.
Née à Berne, Pascale Vonaesch est « née scientifiquement », dans ses termes, à l’EPFZ, où elle effectue son Bachelor en microbiologie. S’ensuit une série d’allers-retours entre la France et la Suisse, qui lui donne une belle aisance dans la langue de Pasteur. Elle obtient son diplôme de l’École normale supérieure à Paris, avant de revenir à Zurich pour sa thèse… et de repartir en France pour l’Institut Pasteur, justement, où elle mène des recherches à Madagascar et en République centrafricaine.
C’est donc presque logiquement que, de retour en Suisse, elle s’installe à Bâle, à l’Institut tropical et de santé publique suisse. Avant d’être nommée professeure assistante à la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’UNIL en 2021, recrutée dans le cadre du flambant neuf NCCR Microbiomes.
Spécialiste du microbiote humain, la biologiste s’intéresse plus particulièrement au rôle du microbiote, de l’écosystème intestinal dans différentes formes de malnutrition. « A Lausanne, au Département de microbiologie fondamentale, je reviens à la recherche fondamentale de ma thèse, relève Pascale Vonaesch, mais tout en restant en contact avec l’Institut Pasteur et l’Institut tropical ; je trouve important de conserver un lien fort avec le terrain, la clinique. Collaborer avec des gens, des collègues de disciplines et de cultures différentes est très enrichissant, scientifiquement et culturellement. J’adore voyager, je ne le cache pas, mais je pense qu’il faut comprendre la réalité du terrain pour faire une bonne recherche. »
Dans comprendre, il y a prendre, écrivait Nicolas Bouvier, grand voyageur devant l’Eternel ; mais pour Pascale Vonaesch, il est aussi important de donner : « La science ne se limite pas à la Suisse, à l’Europe, aux Etats-Unis : nous vivons dans une bulle dorée, c’est notre devoir de partager le savoir, d’envisager la science à un niveau global, comme une ressource qui doit être accessible à tous, de manière équitable, y compris avec les pays à faible revenu. »
Prendre, donner… Mais il faut aussi savoir recevoir : « On apprend beaucoup au contact des autres, il y a des idées à partager. Un exemple : lorsqu’on a commencé à travailler en Ethiopie, on pensait que la sous-nutrition était la seule problématique ; or pour nos interlocuteurs, la résistance aux antibiotiques en était une autre, majeure également. Nous travaillons dès lors ensemble sur un lien possible entre la sous-nutrition et l’émergence de résistances aux antimicrobiens, un projet qui a été initié par nos collaborateurs éthiopiens. »
Au sein du NCCR Microbiomes
Excellente nouvelle, le Fonds national suisse a confirmé, en mars, le financement de la Phase II du NCCR Microbiomes, garanti jusqu’en juin 2028. Dans le cadre du Pôle de recherche national, Pascale Vonaesch co-dirige avec le professeur Gilbert Greub le « Work Package 1 », intitulé : « Translational Microbiome Research ». Un de ses axes est la transplantation de microbiote fécal, seul recours contre certaines infections récidivantes à Clostridioides difficile.
« Pour moi, le lien entre recherche fondamentale et clinique est essentiel, souligne Pascale Vonaesch. La compréhension des mécanismes fondamentaux à l’œuvre dans différentes formes de malnutrition – que nous approchons via des expériences in vitro, qui s’appuient parfois sur la biologie synthétique, et des modèles murins – doit servir de base au développement de stratégies d’intervention et de traitement. »
Reste à résoudre un petit point de terminologie : que recouvre la malnutrition ? « C’est un terme générique, qui englobe toutes les problématiques liées à une alimentation inadaptée, qu’on parle de sous-nutrition, de surnutrition – une problématique très aiguë dans les pays occidentaux, mais aussi dans des pays à faible revenu – ou de dénutrition. » Dans le détail, la sous-nutrition survient quand il y a un manque global d’apport en nutriments, tandis que la dénutrition indique une carence en certains micro-nutriments, par exemple du fer, qui peut être liée à une nourriture mal équilibrée ou à son assimilation insuffisante.
« Mon groupe de recherche s’est d’abord penché sur la sous-nutrition et la dénutrition, qui peuvent entraîner d’importants retards de croissance. Mais on commence à regarder ce qu’il se passe dans les cas de surnutrition, d’obésité, et on constate des similitudes, notamment une inflammation chronique. »
Du Laos à l’Ethiopie
Sous- et surnutrition, deux cas de figure auxquels la chercheuse et son équipe sont confrontées au Laos, où elles étudient les interactions entre les microbiotes de la mère et de l’enfant, au cours de la première année de vie. Ou comment le statut nutritionnel de la mère influence le microbiote de son enfant. Fin 2023, le groupe de recherche a par ailleurs obtenu un nouveau subside du FNS pour son étude NutAdapt, qui intègre une cohorte laotienne : « Jusqu’ici, nous nous étions surtout demandés comment le microbiote influençait la santé humaine. Nous allons en quelque sorte renverser la perspective, et nous demander comment la nutrition change le microbiote, autrement dit comment les bactéries qui le composent s’adaptent en cas de changement de régime et comment les choses se maintiennent à plus long terme. »
Plus à l’ouest, le groupe de Pascale Vonaesch travaille en Ethiopie, un pays où la sous-nutrition est un problème endémique : « En Ethiopie, nous participons à une approche « One Health », c’est-à-dire que nous étudions de façon intégrée les communautés humaines dans leur environnement, y compris avec leurs animaux. C’est donc une étude multidisciplinaire, où se côtoient biologistes, médecins et vétérinaires, l’idée étant d’arriver à un résultat bénéfique pour toutes les parties. Un des moments clés dans ce type d’approche, ce sont les stakeholders meetings, ces réunions où l’on discute des projets avec les différents acteurs, y compris les populations. L’enjeu de vulgarisation y est important. »
Si le terrain est impératif pour une microbiologiste, spécialiste du microbiote humain, c’est aussi pour une raison simple : la diète diffère dramatiquement d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. Ainsi, à Madagascar, riz et légumes entrent de manière dominante dans l’alimentation quotidienne, tandis qu’en Centrafrique, c’est le manioc : deux régimes riches en amidon. A l’inverse, dans la région Somali, région du Sud de l’Ethiopie marquée par le pastoralisme et l’agro-pastoralisme, les aliments de base sont le lait et le blé. « Nous cherchons à savoir si, chez un enfant sous-nourri, quel que soit son régime alimentaire de base, on observe des changements similaires au niveau du microbiote, une « signature » identique. La réponse à cette question va influencer le type de traitement possible : peut-on imaginer un traitement « à large spectre » ou ira-t-on vers des traitements plus spécifiques ? »
Maigres connaissances sur l’intestin grêle
Une étude publiée par Pascale Vonaesch dans PNAS en 2022 mettait sous les projecteurs l’intestin grêle : cet organe joue un rôle clé dans l’absorption des nutriments, et notamment des lipides, et son action apparaît centrale pour comprendre la dénutrition. « Le problème, c’est qu’on connaît mal son microbiote. Et pour cause : il est difficile d’accès. L’analyse des selles, par exemple, nous en révèle bien quelques traces, mais il faut bien voir que les selles sont un méli-mélo de ce qui est passé par le tractus intestinal, où le côlon domine largement. » Pour accéder à l’intestin grêle, il faut recourir à des méthodes plus invasives, comme l’endoscopie : « Il y a peu d’études sur le sujet, surtout sur des personnes en bonne santé. On va en démarrer une au CHUV et à l’Inselspital de Berne, chez les patients adultes, en nous greffant sur des interventions déjà programmées, comme des dépistages par exemple. »
Une autre étude en cours de démarrage, soutenue par une bourse interdisciplinaire ? de la FBM, concerne le microbiote vaginal : menée conjointement avec Jeanne Tamarelle, postdoctorante dans le groupe de Pascale Vonaesch, en collaboration avec Milos Stojanov, MER au Département femme-mère-enfant du CHUV, cette recherche vise à comprendre comment « se remet » le microbiote vaginal après la naissance, en fonction aussi du statut nutritionnel de la mère. Les résultats obtenus auprès de la cohorte du CHUV seront comparés avec ceux de la cohorte laotienne.