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Revivez la conférence livrée par l'économiste Kate Raworth à l'Université de Lausanne lundi 19 février, à la salle Nucleo du Vortex.
L'économiste Kate Raworth, à l’origine de la Théorie du Donut, était l'invitée de l'Université de Lausanne pour une conférence lundi 19 février, à la salle Nucleo du Vortex.
Cet événement était organisé dans le cadre des conférences Envies d’agir, cadeau honorifique de l’UNIL à son lauréat du Prix Nobel, Jacques Dubochet, sur des thématiques qui lui sont chères.
Depuis son bureau à Oxford (Royaume-Uni), Kate Raworth a présenté son modèle du Donut qui articule les limites planétaires avec un plancher social minimum à assurer à tous les humains. Raworth y voit une nouvelle boussole, pour guider l’économie (Raworth, 2017) mais aussi les territoires, les entreprises et institutions. L’UNIL s'appuie d’ailleurs sur ses travaux pour guider sa propre stratégie de transition écologique.
Cliquez ici pour revoir la conférence complète en vidéo et retrouvez ci-dessous les 8 points marquants de son intervention.
L’intervention de Kate Raworth est suivie d’une discussion animée par Julia Steinberger, chercheuse en écologie politique.
Kate Raworth: «Le Donut est une boussole vers la prospérité»
1 - La croissance économique n’est pas une finalité en soi
«Dans les pays du Nord, l'idée est que la croissance [du PIB] est synonyme de progrès, peu importe à quel point une nation est riche. Et si nous écoutons nos politiciens, la solution à nos problèmes réside dans toujours et encore plus de croissance. En réalité, si elle est - pour moi - essentielle pour les pays à faibles revenus, c'est une propriété émergente, pas quelque chose que l'on doit poursuivre sans fin. C’est pourquoi j’ai voulu proposer un nouvel indicateur ou un modèle pour illustrer la finalité de la société: le Donut.»
2 - Le Donut est une boussole vers la prospérité
«Le Donut doit être vu comme une boussole vers la prospérité. C'est un modèle visant à garantir que personne ne manque des éléments les plus basiques de la vie et que nous ne dépassons pas les limites planétaires. Si l'objectif est le Donut, alors c'est une forme et un sens très différents du progrès que la croissance sans fin. L’objectif est de prospérer en équilibre, et nous savons que nous en sommes très loin pour l'instant.»
3 - Un dépassement écologique massif à mesure que les revenus augmentent
«Des millions, voire des milliards de personnes manquent des éléments essentiels à la vie. Et nous dépassons au moins six des neuf limites planétaires. C'est notre selfie collectif, notre portrait, qui nous invite à changer.
Voici juste quatre nations à travers le monde. Vous pouvez voir d'une part, le Malawi avec un déficit humain massif sans dépasser sa part des limites planétaires. La Chine a un double défi: déficit humain et dépassement écologique. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis] le socle social est atteint sauf que les inégalités économiques augmentent à mesure que les revenus et le dépassement écologique augmentent.
Vous pouvez voir ce coin rouge d'inégalités à l'intérieur, mais un dépassement écologique massif à mesure que les revenus augmentent. Et je tiens à souligner que le dépassement en rouge n'est pas mesuré sur la base de l'utilisation des ressources nationales. Il est mesuré sur la base de la consommation de ressources totales d'un pays, soient tous les matériaux, électroniques, produits chimiques, aliments, matériaux de construction qui sont importés pour créer une bonne vie là où nous sommes.»
4 - Aucun pays n’est réellement développé sur notre planète
«Laissez-moi vous montrer ce graphique représentant environ 50 nations sur 150. L’endroit que chacune devrait viser se situe en haut à gauche. C'est là que nous pouvons nous améliorer pour répondre aux besoins de toutes les personnes, tout en préservant la stabilité de notre planète. Que remarquons-nous? Aucun pays ne vit aujourd’hui dans le Donut. Alors la prochaine fois que vous entendrez parler de pays développés, je vous invite à y réfléchir à deux fois. Parce que je ne vois pas un seul pays ici qui devrait se qualifier de réellement développé.»
5 - Partir des points communs plutôt que des divergences
«Que nous soyons pour la croissance verte, la post-croissance ou la décroissance, nous voulons en réalité la même chose: réduire le dépassement des limites planétaires tout en répondant aux besoins des personnes. Où les points de vue divergent, c'est dans les politiques qui nous y amèneraient. Et c'est là que le débat devient incroyablement intéressant. Je pense qu’il est précieux de mettre l’accent sur nos points communs, car c'est ce qui nous permet d'écouter et d'apprécier des points de vue contrastés.»
6 - Changer de mentalité pour construire de nouveaux modèles
«Il y a 30 ans, j'étais vraiment frustrée par la mentalité que l'on m'enseignait à l’université. Et en réalité, rien n’a changé aujourd’hui. En conceptualisant la théorie du Donut, je voulais créer un nouveau repère, non pour lutter contre les constructions et les hypothèses de l'économie mainstream, mais pour construire un nouveau modèle, proposer une alternative.
J’ai donc voulu développer une conception régénérative et distributive, changer le langage et changer le cadre pour que nous ne luttions pas toujours contre l'ancien, mais plutôt pour le reconfigurer. C’est aussi une façon d'engager une nouvelle conversation avec des personnes qui auraient pu, sinon, rester coincées dans leurs positions.»
7 - Le Donut ne peut pas tout faire
«Nous ne pouvons pas tout mettre sur le Donut. Il est accompagné d'une vision beaucoup plus large de l'économie intégrée à la société, intégrée au monde vivant. Il nous force surtout à nous demander comment nos économies sont actuellement structurellement dépendantes de la croissance sans fin et comment nous pouvons donc éloigner de cette dépendance structurelle, pour nous donner une chance d'évoluer et de poursuivre ce que nous recherchons toutes et tous en réalité: un avenir prospère, régénératif et distributif.»
8 - Le Donut, une recette qui fonctionne
«Que se passe-t-il lorsque notre recette est réellement mise en œuvre? Je vais commencer juste par l'un des exemples récents. La ville de Glasgow (Écosse) a créé un portrait, une vision de ce qu'elle veut être en tant que ville prospère. Elle a décidé d’utiliser le concept du Donut pour mobiliser les citoyens, réimaginer l'avenir, et proposer une nouvelle vision. Et ce n’est pas simple quand on est entouré d’autres localités, ou un gouvernement central qui n’a pas du tout la même vision, mais cela fait partie de la lutte de la transition.
Parlons maintenant de Cornwall. Ce comté, basé dans le sud du Royaume-Uni, teste chaque projet d’infrastructure à travers le Donut. Il a également créé un plan vers 2050, en utilisant le Donut, pour une vision à long terme. Son PIB a augmenté de 1,3% l'année dernière. Ipoh (Malaisie) s'est fixée l'ambition d’être la première ville d’Asie visant à vivre dans le Donut. Barcelone a décidé de réduire le nombre de voitures en ville et de planter des arbres. Cela a beaucoup apporté à la population et montre que notre concept est tant écologique que social. Enfin, je pense que le Bhoutan est probablement le lieu le plus proche du concept de base du Donut. Ils investissent prioritairement dans l'éducation, la santé et la préservation de la nature. Et ils ne se fixent pas un objectif autour du Produit Intérieur Brut (PIB), mais du Bonheur National Brut (PNB). C'est vraiment remarquable.»
Le Donut et l’UNIL
Le modèle du Donut est adopté par un nombre croissant de territoires dans le monde, qui s’appuient sur ce cadre conceptuel et sur les principes de la Théorie du Donut de Kate Raworth pour répondre aux enjeux socio-écologiques du 21e siècle. Parmi ces acteurs, l’UNIL se positionne en tant que pionnière en utilisant le modèle du Donut pour guider sa propre transformation. C’est d’ailleurs la première université au monde à le faire. Pour en parler, Benoît Frund (vice-recteur transition écologique et campus de l’UNIL) et Camille Gilloots (chargée de projet au Centre de compétences en durabilité de l’UNIL).
Benoît Frund: «Pour arriver à nos objectifs, nous devons convaincre et mobiliser notre communauté»
«Début 2022, nous avons publié notre plan d’intentions intitulé «Préparer Demain«, dans lequel nous avons défini l'objectif 4.3. Celui-ci propose de ramener les impacts des activités de l'UNIL dans les limites écologiques de la planète, tout en répondant à sa mission sociale. Deux mesures ont été définies: premièrement, fixer des objectifs quantifiés et établir une feuille de route, et deuxièmement, mesurer les progrès et diffuser les résultats. Nous avons défini notre objectif quantifié en établissant le Donut de l'UNIL. Aujourd’hui, nous sommes en train d’élaborer collectivement notre feuille de route. La durabilité est une préoccupation de l'UNIL depuis plus d'une décennie. Jusqu’à présent, toutes nos politiques étaient axées sur ce qui semblait réalisable. Cependant, deux questions nous préoccupent, moi et mes collègues. Premièrement, en nous appuyant sur des évaluations sectorielles, telles que l’empreinte carbone, abordons-nous réellement la complexité des questions environnementales et sociales? Et deuxième question, sommes-nous à la hauteur du défi? Et comme vous l’avez compris, la réponse à ces deux questions est malheureusement non.
Nous avions besoin d’un outil à la fois facile à comprendre et capable d’aborder la complexité des problématiques. Nous l'avons trouvé avec le Donut. Aujourd’hui je peux dire à mes collègues, que nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire, mais il est «simple« de la corriger: il suffit de vider les boîtes rouges qui dépassent le cercle vert du Donut. Avec le Donut, nous disposons d’un outil qui articule les enjeux sociaux et environnementaux facilitant les compromis nécessaires. Nous avons désormais à la fois le point de départ et l’objectif à atteindre d’ici 2050. Et pour y arriver, nous devons aussi mobiliser et convaincre toute notre communauté. C'est pourquoi nous avons mis en place un processus de démocratie participative, l’Assemblée de la transition. Composée de 60 membres tirés au sort de la communauté universitaire, elle a produit un rapport contenant 28 objectifs et 146 mesures. En tant que direction d’une institution vieille de presque 500 ans, nous avons la responsabilité d'adapter sa trajectoire pour qu’elle continue de briller autant que possible au cours des cinq prochains siècles.»
>> Voir le film sur l’Assemblée de la transition de l’UNIL
>> Découvrir le rapport de l’Assemblée de la transition de l’UNIL
Camille Gilloots: «Respecter les limites écologiques de la Terre n'est pas anodin»
«Fin 2021, la direction de l'UNIL rédigeait sa feuille de route pour les années 2021-2026, expliquant qu’il était nécessaire de réduire les impacts de l'UNIL dans les limites écologiques de notre écosystème tout en remplissant sa mission sociale. Pour ce faire, nous avons opté pour modèle du Donut et nous l’avons décliné à l'échelle de l'UNIL. Au début de l’année 2023, l’UNIL disposait de son tout premier Donut. Celui-ci rend compte des impacts des activités de l'UNIL, mais il examine également le bien-être et la santé des êtres humains et non-humains sur l’ensemble du campus. Cependant, il n'inclut pas les impacts écologiques et sociaux indirects, liés au contenu des enseignements et des recherches menées à l’UNIL.
Le plafond écologique du Donut de l'UNIL contient huit dimensions : quatre limites planétaires et quatre composantes de notre écosystème, ici à Lausanne. Le plancher social contient six dimensions : cinq composantes du bien-être au sein de la communauté UNIL et un indicateur relatif au risque d’esclavage moderne dans la chaîne d'approvisionnement de l’UNIL.
Si nous revenons à l'objectif initial de la direction de l'UNIL, à savoir réduire les impacts de notre université dans les limites écologiques de notre écosystème tout en remplissant sa mission sociale, cela signifie par exemple que nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 70% d'ici 2035. Et ces réductions doivent se faire sans nuire à la satisfaction des besoins fondamentaux de la communauté de l'UNIL. Nos calculs montrent que les voyages en avion, l’achat d’équipements de laboratoire et l'énergie pour le chauffage des bâtiments étaient les trois principales sources d'émission de gaz à effet de serre de l'UNIL, en 2019. [...] Sachant cela, la question est: par où commencer? Comment pouvons-nous guider toute la communauté universitaire vers l'espace juste et sûr du Donut? Autant de questions auxquelles la Direction de l’UNIL tente, en ce moment, de répondre pour transformer le Donut de l’UNIL en une boussole pour guider, concrètement, la transition de l’Université de Lausanne.»
>> Découvrir le rapport du Donut de l’UNIL
Cet évènement a été organisé au travers d'une collaboration entre le service Unicom et le centre de compétences en durabilité de l'UNIL. Si vous souhaitez contribuer aux réflexions autour du modèle du Donut dans une perspective critique, il est possible de nous envoyer vos remarques via centredurabilite@unil.ch.