Face à la pénurie, aux évolutions démographiques et au désenchantement des étudiantes et étudiants, la profession médicale est sous pression : Vanessa Kraege et Stéfanie Monod, les deux vice-directrices de l’École de formation postgraduée médicale (EFPGM), qui accompagne les médecins assistants, sont aux premières loges.
L’École de formation postgraduée médicale (EFPGM) accompagne les médecins titulaires d’un diplôme reconnu en Suisse effectuant leur spécialisation, notamment au sein des services du CHUV et d’Unisanté, encadrés par des médecins cadres et professeures et professeurs de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’UNIL. Et c’est l’ISFM (Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue) qui accrédite ces établissements de formation et décerne les titres de spécialistes.
Une pelote complexe, à l’intersection de plusieurs institutions : le CHUV, Unisanté, l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, la FBM, l’ISFM, entre autres. « C’est là toute la richesse mais aussi l’ambiguïté de notre École, avec des limites qui ne sont pas toujours claires, souligne Vanessa Kraege, vice-directrice et responsable opérationnelle de l’EFPGM, également vice-directrice médicale du CHUV. On peut même parler d’école virtuelle : par exemple, nous n’avons pas de « rentrées » estudiantines, comme c’est le cas en prégrade à l’École de médecine, nous avons une activité en soutien continu ».
Mais cette école « virtuelle » est néanmoins incontournable. Dirigée par le Pr Mauro Oddo de la Direction du CHUV, sous l’égide du vice-doyen Enseignement et diversité de la FBM, le Pr Patrick Bodenmann, cette école joue un rôle de facilitatrice dans une machinerie de la formation postgrade très diversifiée, avec près de 45 titres de spécialistes, 37 formations approfondies, 9 formations approfondies interdisciplinaires et 43 attestations de formation complémentaire. Rappelons que sans spécialisation, un médecin détenteur d’un simple diplôme fédéral est condamné à rester médecin assistant, sous la responsabilité d’un médecin autorisé à pratiquer, ou devenir médecin praticien dans la communauté.
Passage critique
L’EFPGM est dès lors un pivot très intéressant pour assurer la transition la plus fluide possible entre le prégrade et le postgrade : « C’est un moment critique, les diplômés sont souvent livrés à eux-mêmes, note Stéfanie Monod, seconde vice-directrice de l’EPFGM, et par ailleurs co-cheffe du Département épidémiologie et systèmes de santé d’Unisanté. Il y a un énorme besoin d’informations, aussi bien du point de vue des candidats que de leurs patrons. Il y a un réel bénéficie à développer et solidifier une structure pour accompagner cela. »
Un parcours typique de postgrade prend 5-6 ans, le plus souvent avec des passages par les hôpitaux régionaux et par les institutions universitaires.
Observatoire privilégié
L’EFPGM est aux premières loges face aux remous que connaît actuellement la profession médicale, au nœud de tensions politiques, démographiques, économiques ou éthiques. Les enjeux sont nombreux, que l’on parle de la pénurie de médecins, de la qualité de la formation, de la féminisation du métier ou encore de l’abandon de la profession.
Vanessa Kraege de souligner: « Je suis souvent appelée à traiter un large éventail de problématiques : j’ai des questions de la part des étudiants concernant l’opportunité de faire ou non une thèse MD, des demandes de personnes en situation de handicap, de personnes en délicatesse avec leur hiérarchie, mais aussi des sollicitations de médecins débordés par le rythme quotidien, qui se sentent isolés ou, plus fondamentalement, qui ne trouvent plus de sens dans ce qu’ils font. »
Il y a là un enjeu majeur insiste-t-elle, car selon les chiffres de l’Observatoire suisse de la santé (OBSAN), ce sont 30% des médecins qui quittent le métier : environ 10% quittent la vie active (retraite ou maternité), 10% changent de branche d’activité (s’orientant par exemple vers les assurances, comme médecin-conseil) et 10% abandonnent purement et simplement la profession. Et si on filtre ces données en fonction de l’âge, entre 2016 et 2018, 35% des « démissionnaires » avaient moins de 35 ans, soit souvent avant la fin de leur formation postgraduée, avec une majorité de femmes.
Perte de sens
La difficulté de concilier vie privée et carrière médicale, notamment pour les femmes, est un facteur connu. Mais il n’est pas le seul : « Beaucoup de jeunes médecins se disent écrasés par les charges administratives, relève Stéfanie Monod. A quoi s’ajoute la segmentation de leur parcours : assurer le suivi d’un patient sur un plus ou moins long terme, avec le côté gratifiant que cela comporte, devient l’exception, et c’est aussi le lien de confiance avec le patient qui en souffre. » Les difficultés de certains médecins sont réelles, mais souvent oubliées, au point que la FMH a mis sur pied, en 2010, le programme ReMed, réseau de soutien pour les médecins.
Or ces médecins assistants, ces jeunes médecins de moins de 35 ans selon le rapport de l’OBSAN, ce sont typiquement les ouailles de l’EFPGM, ce qui donne aux deux vice-directrices un point de vue privilégié sur la problématique. « Les médecins assistants, qui sont, soulignons-le, en formation, sont devenus la cheville ouvrière de l’hôpital : ce sont eux qui lui permettent de fonctionner. Or justement, ils fonctionnent, mais trop souvent aux dépens de leur formation, remise à plus tard », commente Stéfanie Monod.
«Il y a des parcours longs, des postgrades qui s’éternisent parce qu’il leur manque juste un petit module : c’est quelque chose que nous voulons absolument éviter, et cela suppose aussi de dialoguer avec les chefs de service », renchérit Vanessa Kraege.
Le poids des hôpitaux
Cette situation a des effets plus globaux. Aujourd’hui, ce sont les hôpitaux qui créent les opportunités de formation, en fonction de leurs besoins immédiats. « Ils font un peu leur marché, remplissant les places vacantes : tant de places de formation en neurologie, tant en obstétrique, et cetera, explique Stéfanie Monod. Voilà qui crée aussi un décalage avec les enjeux de santé publique, alors que l’on parle de la pénurie des généralistes : devenant de plus en plus spécialisés, les grands hôpitaux formateurs créent des places de formation de plus en plus spécialisées. »
« Les médecins de famille sont aussi des spécialistes ! » assène Vanessa Kraege, rappelant qu’ils et elles sont titulaires d’une spécialisation en Médecine interne générale, et que leur durée d’études est la même que celle des autres spécialistes. Elle ajoute que la responsabilité de l’EFPGM se limite actuellement aux institutions universitaires : « Les hôpitaux régionaux devraient aussi être accompagnés, et ils ont des besoins souvent différents, notamment de médecins moins spécialisés, plus polyvalents. Ils ne peuvent tout simplement pas s’offrir toutes les spécialités et sous-spécialités. Or, dans le contexte actuel, former de tels médecins, par exemple des chirurgiens généralistes, est compliqué. »
Du pain sur la planche
Bref, la situation est complexe, les défis nombreux. Au niveau cantonal comme fédéral, face aux enjeux urgents de santé publique, la politique commence à s’en mêler. Mais avant que la donne ne change, l’EFPGM doit faire avec ses moyens, modestes : les quatre membres de son comité de direction sont employés par d’autres instances que l’École, faisant donc du in-kind pour l’École. Ses activités de conseil, avec souvent une teinte d’urgence, resteront le cœur de son métier. Mais les deux vice-directrices souhaitent aussi faire un peu de marketing, visibiliser les formations transverses que délivrent le CHUV, mutualisant ainsi les ressources, notamment avec les hôpitaux régionaux de Suisse romande, mais pourquoi pas aussi au-delà.
Autre enjeu de taille, l’implémentation progressive de l’Entrustable Professional Activities (EPA) de l’ISFM, nouvelle manière d’évaluer les médecins, qui vise à éliminer certaines lacunes possibles de formation. Et il y a enfin la simulation, à travers le projet C4, dont l’objectif est de renforcer la formation pratique des jeunes médecins, leur permettant d’effectuer certains gestes cliniques ou d’être confrontés à certaines situations qu’ils n’ont que rarement ou peut-être jamais rencontrées.