Pièce maîtresse du futur « Campus santé », le bâtiment C4 sera dévolu au développement des activités de simulation pour les principales filières de formation de la santé, avec un accent sur l’interprofessionnalité. Rencontre avec Sylvie Félix, Marie Guinat et David Gachoud, en charge du projet à l'École de médecine.
Le 14 juillet 2022, le Grand Conseil a donné son feu vert à la construction du « Campus Santé », à Chavannes-près-Renens. Le projet comprend un bâtiment dédié à la Haute École de Santé Vaud (HESAV), des logements pour étudiants et surtout le C4, pour « Centre coordonné de compétences cliniques ». 4, c’est aussi le nombre des partenaires du projet : l’HESAV, la Haute École de Santé La Source, le CHUV et la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’UNIL.
Ce bâtiment de 3 étages, dont l’inauguration est prévue en 2026, vise à devenir un centre de formation, pré-grade, post-grade ou continue, pour les professionnelles et professionnels de la santé, issus de six filières : médecine, soins infirmiers, physiothérapie, ergothérapie, ainsi que les sages-femmes et les techniciennes et techniciens en radiologie. En rassemblant autant de professions sur le même lieu, le C4 doit être le fer de lance de l’interprofessionnalité. « Nous voulons aussi en faire un centre de référence pour la simulation », explique la Dre Sylvie Félix.
Cette dernière, responsable de l’Unité des compétences cliniques (UCC) de l’École de médecine de la FBM et membre de la Commission de projet du C4, répond à nos questions en compagnie de la Dre Marie Guinat et du Dr David Gachoud : tous deux partagent leur temps entre la clinique au CHUV et l’Unité de pédagogie médicale de l’École de médecine (UPMed) à la FBM, où ils sont chargés du développement de l’interprofessionnalité.
L’accent mis sur la simulation est-il une façon de répondre à la problématique de l’exposition clinique des étudiantes et étudiants ?
Sylvie Félix : Tout à fait. On observe une forte augmentation du nombre des étudiantes et des étudiants, stimulée aussi par la volonté politique de former toujours plus de personnel soignant ou médical face à la pénurie actuelle. Mais l’évolution des places de formation pré-grade ne suit malheureusement pas la même courbe. Un autre facteur découle de la durée moyenne des hospitalisations aujourd’hui : elle est plus courte, et concerne souvent les soins aigus. Pendant leur hospitalisation, les patients sont ainsi peu disponibles pour la formation, étant accaparés par les investigations cliniques. Et quand ils vont mieux, ils quittent l’hôpital pour retourner à domicile ou dans une autre structure de prise en charge où ils sont peut-être moins accessibles à la population estudiantine. Il faut donc trouver des solutions complémentaires, et la simulation permet de répondre en partie à ce problème d’exposition clinique : en partie seulement puisqu’elle ne se substitue pas entièrement à l’immersion clinique, mais permet de se préparer aux premières expériences cliniques dans les services hospitaliers.
David Gachoud : Je précise que les patients sont en général bienveillants envers nos étudiantes et étudiants. Mais éthiquement, il est aussi difficile de défendre que des gestes plus ou moins invasifs se fassent pour la première fois sur le patient ; il y a toujours une première fois bien sûr, mais le recours à la simulation permet un premier « dégrossissage ». Autre aspect important du point de vue pédagogique, la simulation permet un feedback direct de la personne qui supervise. Et soulignons qu’elle ne concerne pas que les gestes techniques, mais aussi l’interaction avec les patients et la famille, et notamment l’annonce de mauvaises nouvelles. Pour cela, nous avons déjà recours, au sein de l’École de médecine, aux patients simulés.
Marie Guinat : L’apprentissage par simulation permet également d’acquérir les compétences nécessaires à la prise en charge d’événements médicaux rares en clinique, mais qu’il faudra savoir gérer en situation d’urgence. Je prends l’exemple d’un choc anaphylactique, avec détresse respiratoire. En milieu réel, c’est toujours la personne la plus expérimentée qui va prendre en charge ce genre de cas. Or grâce à la simulation, des néophytes peuvent l’aborder, et cet apprentissage expérientiel, et pas seulement théorique, permet à nos étudiantes et nos étudiants de développer des compétences et de les transférer vers la pratique clinique.
Beaucoup de choses se font déjà, à l’École de médecine ou au CHUV, en termes de simulation : que va changer le C4 ?
Sylvie Félix : Il s’agit d’abord de regrouper et de mutualiser les efforts entre les 4 partenaires, de gagner en efficience. Je prends l’exemple des mannequins haute-fidélité pour la simulation clinique, dont les plus sophistiqués peuvent saigner, respirer, présenter des variations du rythme cardiaque, du diamètre des pupilles, etc. Bien sûr, ils sont très onéreux, à savoir plusieurs dizaines de milliers de francs : plutôt que chaque institution en achète pour un usage individuel, ce sont des coûts qu’on pourra mutualiser, en optimisant leur utilisation. Mais le C4 va plus loin, en poussant le réalisme avec des infrastructures dédiées : on y trouvera un bloc opératoire simulé, une salle de déchocage et un scanner simulé, des chambres d’hôpital, un couloir d’hôpital avec sa salle d’attente, un desk… Et même un appartement simulé, destiné en priorité aux ergothérapeutes, pour simuler des prises en charge à domicile. Point important, l’architecture de chaque étage est conçue selon une double circulation : un couloir extérieur pour les participantes et les participants, et un couloir intérieur pour les patients simulés notamment, afin que les deux populations ne se croisent pas lors des exercices de simulation ou des examens.
Marie Guinat : L’idée est de maintenir ainsi la crédibilité de l’exercice et de permettre un apprentissage dans des conditions quasiment réelles : cette architecture permet d’améliorer le réalisme et la mise en situation des soins.
Sylvie Félix : A noter encore que le C4 ne comprend pas que des locaux réservés à la pratique, mais aussi des auditoires pour la théorie, des salles de séminaire pour le débriefing : l’infrastructure du bâtiment répond à différents besoins, y compris la recherche et l’innovation.
David Gachoud : Beaucoup de choses se font déjà à Lausanne sur le front de la simulation : je prends l’exemple précurseur du Ces!mu, le Centre d’enseignement par simulation mis sur pied aux Urgences du CHUV, et qui fête d’ailleurs ses dix ans en septembre 2022. Il faut aussi rappeler tout le travail déployé par le programme des patients simulés de l’École de médecine. Ce programme fonctionne parfaitement tout en restant dépendant de locaux partagés sur le site du Biopôle. Sans se substituer aux initiatives déjà en place, le C4 va permettre de renforcer cette dynamique, avec de nouveaux développements, de systématiser les enseignements et de rationaliser certains fonctionnements : dans le Service de médecine interne du CHUV où je travaille, par exemple, nous avons des cours de formation reposant sur la simulation, mais sans locaux dédiés ; nous perdons beaucoup de temps à installer puis à ranger le matériel. On peut dire que les contraintes logistiques actuelles sont un frein au développement de ces enseignements. Cela va changer avec le C4, puisqu’il y aura des salles dédiées et un staff technique qui déchargera l’enseignant d’une partie du travail de préparation. Cela compensera largement le temps du déplacement à Chavannes-près-Renens ! Cerise sur le gâteau, le C4 nous permettra d’organiser dans des conditions optimales l’examen fédéral pratique de médecine, qui s’appuie sur 12 situations simulées et constitue donc une grosse machine logistique.
L’idée du C4 est aussi de développer l’interprofessionnalité ?
Sylvie Félix : En effet, si l’on prend l’exemple du bloc opératoire simulé, son but sera principalement de travailler sur les processus interprofessionnels, sur la coordination entre chirurgiens, anesthésistes, infirmiers instrumentistes, etc. De même pour le scanner simulé, qui est une coque vide : l’idée est là aussi d’agir sur les processus, de s’entraîner au transfert d’un patient intubé par exemple.
Marie Guinat : La simulation comporte une dimension technique – s’entraîner à des gestes, comme la pose d’un champ stérile, pour reprendre l’exemple du bloc opératoire ; mais les dimensions de la communication interprofessionnelle et de la dynamique d’équipe sont tout aussi importantes. Comment réagir par exemple à un événement indésirable et/ou inattendu ? Comment améliorer la performance de l’équipe pour prodiguer des soins de qualité au patient ? C’est aussi là-dessus, sur les processus interprofessionnels, que ces espaces hospitaliers, bloc opératoire, couloir et chambres d’hôpital reconstitués vont nous permettre de travailler, en simulant une unité d’hospitalisation.
Favoriser l’interprofessionnalité, faire que médecins, infirmières et infirmiers notamment, participent à des cours communs, cela suppose aussi un gros travail de coordination entre institutions…
Marie Guinat : Nous avons à faire à des institutions volontaires et soutenantes, mais effectivement il va y avoir un travail important pour aligner les objectifs d’apprentissage, les niveaux d’expertise des étudiantes et des étudiants et, bien sûr, les calendriers académiques de chaque filière de santé. Mais on ne part pas de zéro : il existe déjà plusieurs enseignements interprofessionnels d’excellente qualité. A titre d’exemple, je fais partie du groupe d’organisation des « Journées Interprofessionnelles » (JIP), qui réunissent chaque année plus de 600 étudiantes et étudiants des six filières concernées par le C4. Ces Journées visent à préparer au travail en équipe les professionnelles et les professionnels de santé de demain. J’ajoute que l’organisation de ces journées a été initiée et est activement soutenue par le GEPI, le Groupe interinstitutionnel d’Éducation et Pratique Interprofessionnelles, fondé en 2010 par les quatre partenaires du futur C4. Je pense aussi que la pandémie a démontré l’importance des collaborations ; ce fut un révélateur pour certains, et ça ne fait que commencer. Qu’on parle des maladies complexes demandant une prise en charge interprofessionnelle, ou des enjeux sanitaires liés au vieillissement de la population ou au réchauffement climatique, on va avoir de plus en plus besoin de travailler ensemble, pour des raisons d’efficacité et d’efficience de la prise en charge de nos patientes et de nos patients.