Une étude menée par les équipes d'Alexandre Reymond et de Zoltán Kutalik à l'UNIL et au SIB a démontré qu'une catégorie peu étudiée de variants génétiques, généralement associée à de graves maladies rares, influençait également le risque de maladies plus courantes dans la population générale. Leurs résultats, publiés dans l’édition du 8 janvier 2024 de la revue «Genome Medicine», sont prometteurs pour le développement de la médecine personnalisée.
Les variants du nombre de copies (en anglais, Copy-Number Variants ou CNVs) sont un type de mutations génétiques méconnu, où un individu possède plus (duplication) ou moins (délétion) de deux copies de certains éléments de son ADN. Historiquement, les CNVs ont été étudiés dans des cohortes cliniques d'individus souffrant de «troubles génomiques». Ces derniers se caractérisent généralement par des symptômes cliniques graves apparaissant dès l'enfance, tels que des retards de développement neurologique, des malformations physiques ou des troubles comme l'autisme.
Dans des travaux antérieurs, les équipes lausannoises ont étudié la présence des CNVs chez 500’000 personnes issues de la UK Biobank, une vaste cohorte composée de volontaires de la population générale britannique et pour lesquels des données génétiques sont disponibles. «Cette étude a montré que les CNVs sont présents dans la population générale à une fréquence plus élevée qu’on ne le pensait jusqu’à présent et qu'ils affectent certains traits, par exemple le niveau de cholestérol, un indicateur pour certaines pathologies», indique Alexandre Reymond, professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. «Cela nous a conduit à la question suivante: et si ces mutations avaient un rôle dans la susceptibilité à des maladies plus communes?»
Une nouvelle approche statistique révèle les liens entre CNVs et maladies courantes
«Afin de répondre à cette question difficile, nous avons dû développer un cadre d'analyse permettant d'évaluer la fiabilité des associations découvertes entre CNVs et maladies», explique Zoltán Kutalik, chef du groupe de génétique statistique à Unisanté et au Département de biologie computationnelle de l'UNIL, ainsi que membre de l'Institut suisse de bioinformatique (SIB). En effet, la nature binaire des maladies (on est malade ou on ne l’est pas) par rapport à des caractéristiques continues comme la taille ou le poids, ainsi que la rareté relative des CNVs dans la population répertoriée dans la UK Biobank, ont obligé les scientifiques à adapter les approches statistiques existantes pour étayer leurs résultats.
Les chercheurs ont trouvé 73 liens entre CNVs et maladies, impliquant 45 régions génomiques uniques et 40 pathologies courantes telles que l'asthme, l'épilepsie, l'insuffisance rénale ou les troubles cardiaques. Outre l'augmentation du risque de maladies, ces mutations entraînent également une apparition plus précoce de ces dernières. Par exemple, il a été constaté que les délétions du gène BRCA1 entraînaient un risque accru de cancer de l'ovaire, confirmant l’observation que les altérations génétiques de ce gène représentent l'un des facteurs de risque génétique les plus importants pour le cancer du sein et de l'ovaire.
Un seul CNV peut augmenter le risque de plusieurs pathologies
Les scientifiques ont également étudié un phénomène connu sous le nom de «pléiotropie». Ce terme fait référence au fait qu’un même variant génétique peut avoir un impact sur le risque de plusieurs maladies. Ce phénomène a été observé pour de nombreux CNVs, en particulier ceux qui sont liés à des troubles génomiques. «Il a notamment été démontré qu'un CNV, connu sous le nom de 16p11.2 BP4-5, affectait le risque de 15 maladies différentes», relève Chiara Auwerx, doctorante dans les groupes de Zoltán Kutalik et d'Alexandre Reymond, et première auteure de l'article publié dans Genome Medicine.
Une voie potentielle pour la médecine personnalisée
Les CNVs analysés étant assez rares, la proportion de maladies qui peut leur être attribuée demeure faible. Les chercheurs estiment qu'environ 0,02 % de tous les cas de maladies sont causés par des CNVs, avec un pourcentage légèrement plus élevé pour des maladies telles que la schizophrénie, pour laquelle les CNVs sont un facteur de risque important. Cependant, pour un individu donné, la présence d'un CNV peut avoir des effets non négligeables, car elle augmente de plusieurs ordres de grandeur le risque de maladie et a ainsi des conséquences beaucoup plus graves que d'autres types de variants génétiques plus courants. «Ces résultats sont prometteurs pour le développement de la médecine personnalisée. L'identification des individus porteurs de ces mutations pourrait en effet permettre de développer des stratégies de prévention et des traitements sur mesure», conclut Zoltán Kutalik.