Génétique: ce qui rend chacun d’entre nous si unique

Les équipes des professeurs Zoltán Kutalik et Alexandre Reymond de l’UNIL décodent le génome des individus afin de mieux comprendre leurs spécificités et leurs différences. Dans une nouvelle étude parue dans l’édition du 2 mars 2022 de la revue «American Journal of Human Genetics», elles ont étudié comment l’ajout ou la perte de matériel génétique influence notre apparence physique et nous prédispose à certaines maladies.

Corrélations entre des variations du nombre de copies (CNVs) au sein de la population britannique et divers caractères physiques et prédispositions à certaines maladies. Par exemple, les individus avec une délétion sur le chromosome 16 ont un risque augmenté de surpoids, alors que ceux avec une duplication sur le chromosome 17 présentent une réduction de force musculaire. © Chiara Auwerx-UNIL

Les CNVs, c’est quoi?

Chacune de nos cellules comporte deux copies de notre génome, l’une provenant de notre mère, l’autre de notre père. Chez certaines personnes, des mutations génétiques induisent la duplication ou l’élimination d’un bout du génome, comme si une page d’un livre était dédoublée ou supprimée. Il arrive ainsi que le nombre de copies de ce fragment génomique soit supérieur ou inférieur à deux. On parle alors de variation du nombre de copies ou «CNVs» pour «Copy Number Variants».

Afin que notre corps puisse fonctionner normalement, il est important qu’un équilibre du nombre de copies soit maintenu. Un cas extrême de déséquilibre est la trisomie 21, où un chromosome entier est dupliqué, avec pour conséquence une atteinte majeure à la santé des personnes concernées. «Dans le milieu médical, les CNVs sont connus pour être à l’origine de plusieurs syndromes génétiques rares et handicapants ; leur rôle dans la population saine demeure toutefois mal compris», relève Alexandre Reymond, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine et directeur du Centre intégratif de génomique de l’UNIL. Une question que le généticien et son collègue Zoltán Kutalik, professeur associé au Département de biologie computationnelle de l’UNIL et à Unisanté ainsi que membre de l’Institut suisse de bioinformatique (SIB), adressent dans une étude qui vient de paraître dans la revue American Journal of Human Genetics.

Une recherche participative

Les scientifiques lausannois, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Tartu en Estonie, ont tiré parti des données de la UK Biobank, une cohorte composée de 500'000 volontaires de la population générale britannique. Ces derniers ont, de manière anonyme, accepté de partager leur dossier médical, répondu à des questionnaires concernant leurs habitudes et modes de vies, et donné un échantillon de sang permettant d’établir un bilan sanguin et d’accéder à leur génome.

Ces informations génétiques ont permis aux deux équipes lausannoises d’identifier, dans le cadre de leurs travaux, les participants qui présentaient des CNVs. Une fois les variations localisées, ils ont établi si celles-ci modifiaient les caractères intellectuels, physiques ou moléculaires des individus. «Des initiatives similaires à celle de la UK Biobank se multiplient à travers le monde et représentent une source inédite d’information», souligne Zoltán Kutalik. «Grâce à elles, chaque citoyen peut contribuer individuellement à une meilleure compréhension collective des mécanismes par lesquels les variations dans nos génomes se traduisent par des différences physiques ou des susceptibilités à certaines maladies.»

Un impact négatif des CNVs sur la santé et la longévité

Un des premiers constats fait par les auteurs de l’étude est que les CNVs sont plus fréquents qu’escompté: 39% des individus analysés possèdent au moins une variation. «Ce chiffre est assez impressionnant, sachant que la technologie que nous utilisons ne nous permet pas de détecter les CNVs de petite taille. En réalité, ce nombre est sûrement bien plus élevé», analyse Chiara Auwerx, doctorante au sein des groupes d’Alexandre Reymond et de Zoltán Kutalik et première auteure de l’article.

Les scientifiques ont en outre découvert que les gens avec beaucoup de CNVs dans leur génome présentaient un plus petit poids à la naissance, une augmentation de l'adiposité et des dommages au foie et aux reins, ainsi qu’une diminution de la capacité physique et intellectuelle. «Cette observation nous a poussé à déterminer si la charge en CNVs avait également des répercussions globales sur la vie des personnes affectées», relate Chiara Auwerx. Les chercheurs ont, par exemple, mis en évidence une corrélation entre un salaire annuel qui baissait et le nombre de gènes inclus dans les CNVs. «De plus, nos données suggèrent qu’une lourde charge en CNVs réduit l’espérance de vie», spécifie la biologiste.

Pas tous égaux face aux variations génétiques

Une autre observation faite par les spécialistes est qu’une même variation n’aura pas le même impact chez tout le monde. Alexandre Reymond illustre ce phénomène par un exemple: «La rare et sévère maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT) est caractérisée par une dégénération musculaire causée par une duplication sur le chromosome 17. Nous avons identifié dans la UK Biobank 107 porteurs de cette duplication, mais seuls 36% d’entre eux ont reçu un diagnostic clinique de CMT. Les autres détenteurs de la duplication présentaient une réduction moindre de leur force musculaire». Zoltán Kutalik ajoute: «Ces résultats indiquent que nous ne sommes pas tous égaux face aux mutations de notre génome et que les CNVs jouent un rôle beaucoup plus subtil que ce que nous pensions dans la définition des traits complexes, comme les biomarqueurs sanguins, ou des maladies communes, telles que l’obésité.»

Reste à comprendre pourquoi une même variation n’induit pas les mêmes conséquences chez différentes personnes. «Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène, par exemple la présence d’autres mutations génétiques, ainsi que des différences environnementales et culturelles», conclut Alexandre Reymond, précisant que cette question fera l’objet de futures recherches.

Publié du 2 mars 2022 au 3 avril 2022
par Communication FBM
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