Les principes des « 3R », réduire, raffiner, remplacer, sont mis en pratique quotidiennement dans les laboratoires de la FBM. Et notamment au sein du Département des neurosciences fondamentales : rencontre avec Barbora Vidimova, Anthony Laugeray et Leonardo Restivo, actrice et acteurs des 3R à l’UNIL.
Réduire, raffiner, remplacer : trois verbes, trois principes qui forment l’armature des « 3R ». Objectifs : réduire le nombre d’animaux utilisés dans la recherche, améliorer leurs conditions de vie, et trouver des alternatives à l’expérimentation animale. Or Leonardo Restivo, Anthony Laugeray et Barbora Vidimova incarnent, respectivement, ces trois axes au sein du Département des neurosciences fondamentales (DNF) de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’UNIL.
Réduire : Leonardo Restivo
Leonardo Restivo dirige la plate-forme Neuro-BAU (pour Neuro-Behavioral Analysis Unit) du DNF, une plate-forme dédiée à l’étude du comportement et de ses corrélats neuraux. « Nous ne travaillons qu’avec des souris vivantes, il nous faut donc créer pour elles les meilleures conditions. Car les résultats d’une expérience seront d’autant plus fiables si les animaux observés se sentent bien, particulièrement lorsqu’on étudie les maladies psychiatriques. » Autrement dit, en promouvant le bien-être des animaux, on améliore du même coup la qualité et la solidité des données collectées.
Mais le neuroscientifique, expert du design d’expérience, ne s’arrête pas là : « La science devient de plus en plus compétitive, avec comme conséquence que les gens ont une attitude de plus en plus protectionniste avec leurs résultats, explique Leonardo Restivo. Il y a une forte pression pour publier, obtenir des fonds, ce qui conduit parfois les chercheurs à contourner des étapes cruciales de la conception expérimentale. Cela peut compromettre la qualité globale des résultats d’une étude. » En 2021, il a cosigné un article publié dans EMBO Reports, s’inquiétant d’une « crise de la reproductibilité » dans les sciences de la vie, et appelant à améliorer les pratiques dans la recherche.
Et c’est là que les core facilities, les plates-formes facultaires – ou départementales comme Neuro-BAU – ont un rôle clé à jouer : « Grâce à l'UNIL, qui soutient les plates-formes de notre Faculté et de ses départements, et finance des équipements de pointe, nous pouvons nous concentrer sur le développement de meilleures pratiques de travail avec les animaux. Nous sommes idéalement placés, étant directement en lien avec les chercheuses et les chercheurs à qui nous offrons nos services, pour mener ce mouvement visant à changer les pratiques. »
Il y a aussi à la clé un bénéfice pour les animaux : « Pousser les gens à partager leurs données – c’est le sens de l’Open Science, dont on retrouve les principes dans les directives récentes du FNS -, représente une opportunité non seulement pour la science, mais aussi pour les 3R : il y aura moins de doublons d’expérience, donc moins d’animaux utilisés. Autrement dit, on ne collectera plus nos données sur des souris vivantes, mais à partir de bases de données historiques. » Il évoque encore l’enjeu des virtual control groups : soit des groupes de contrôle constitués non pas de souris vivantes, mais de souris « virtuelles », dérivées de données historiques.
Mais qui dit partage de données dit standardisation : « Trop de données ne sont pas réutilisables, en l’absence de métadonnées que l’on puisse interroger, croiser, et qui permettent d’intégrer ces données dans une nouvelle recherche. On peut y voir un gigantesque gaspillage. » C’est pourquoi un large panel de scientifiques, appartenant aussi bien à l’industrie pharmaceutique qu’au monde académique, et dont fait partie Leonardo Restivo, travaille à unifier ces métadonnées. Projet en cours.
Raffiner : Anthony Laugeray
La spécialité d’Anthony Laugeray, c’est la modélisation des troubles neuropsychiatriques chez l’animal, en l’occurrence la souris. Il est postdoctorant dans le groupe de Paola Bezzi, maître d’enseignement et de recherche au DNF, qui travaille sur la schizophrénie.
Tout neuroscientifique souhaitant tester l’effet d’une molécule sur le cerveau est confronté à un problème de taille : la barrière hémato-encéphalique, impénétrable ligne Maginot anatomique qui protège le cerveau des pathogènes et toxines qui circulent dans le sang. « C’est une super protection, mais c’est très problématique quand on veut étudier l’efficacité d’un médicament, relève Anthony Laugeray. Ce qui marche in vitro ne fonctionne plus quand on passe à des modèles in vivo. »
Jusqu’ici, la seule façon de la contourner, c’était d’administrer directement, par chirurgie, les médicaments dans le cerveau, « ce qui implique des contraintes pour les animaux, sans compter la gestion de la douleur périopératoire ».
Partant de ce constat, Anthony Laugeray a développé une méthode originale, et bien moins invasive que la chirurgie : « Notre procédé consiste à injecter dans le sang des souris des microbulles de gaz, qu’on va ensuite « activer » grâce à l’émission focalisée d’ultrasons : ces microbulles vont osciller et permettre, en augmentant l’espace entre les cellules au niveau des jonctions serrées de la barrière hémato-encéphalique, d’ouvrir transitoirement cette barrière ». Et vogue la galère : la technique a été testée pour une molécule développée au sein du laboratoire de la DreSc. Paola Bezzi, et agissant sur l’hyperdopaminergie, qui jouerait un rôle important dans la schizophrénie. Molécule qui a d’abord été modifiée, rendue fluorescente, « pour qu’on puisse la voir ».
Le procédé est actuellement sous revue : il s’agit de s’assurer qu’il est aussi efficace que la procédure habituelle de chirurgie intracrânienne, et aussi de surveiller d’éventuels effets collatéraux : « Cette technique n’entraîne pas de lésions des tissus, mais nous devons nous inquiéter des effets subtils de cette brève ouverture de la barrière hémato-encéphalique, de la réaction dans le temps des cellules cérébrales. »
Pour mener à bien son projet, Anthony Laugeray a obtenu un financement du Centre suisse de compétence 3R (3RCC) : « A terme, si nos tests s’avèrent concluants, tous les laboratoires de neurosciences pourraient se passer de chirurgie pour tester l’effet de nouvelles molécules », se réjouit Anthony Laugeray.
Remplacer : Barbora Vidimova
Quand on évoque les 3R, le dernier, pour « remplacer », apparaît comme le Saint-Graal des chercheurs. Cependant, il est nécessaire de tempérer nos attentes : les modèles animaux restent irremplaçables, particulièrement quand on s’intéresse aux comportements.
Néanmoins, à certains stades d'une recherche, il est possible d’y substituer d'autres modèles, in silico ou in vitro. Par exemple, les organoïdes, très en vogue actuellement : ils permettent des créer des structures cellulaires en 3D, parfois appelées « mini-organes », note Barbora Vidimova, doctorante au sein du groupe de recherche de la professeure Claudia Bagni.
Les avantages des organoïdes sont nombreux : « Tout d’abord, ces structures dérivent de cellules humaines : elles sont cultivées à partir des cellules-mêmes du patient, reprogrammées en cellules souches pluripotentes induites (IPS), qu’on va pouvoir différencier en cellules spécifiques selon les besoins de l’expérience. Le fait de partir de cellules humaines est un atout important, car les modèles animaux peuvent manquer de pertinence lorsqu'on étudie le cerveau humain »
Barbora Vidimova est installée à Lausanne depuis un an et demi; c’est une spécialiste de biologie computationnelle ou biologie quantitative, et elle aspire à intégrer cette approche au travail de laboratoire. Elle a elle aussi obtenu un soutien du 3RCC pour développer un modèle organoïde du syndrome de l’X fragile, l'une des causes de l'autisme : « Les organoïdes permettent de mimétiser certains aspects moléculaires et développementaux des régions cérébrales. Par exemple, dans le cas du syndrome de l’X fragile, une région spécifique du cerveau, le striatum, est affectée, ce qui entraîne des déficits en termes de flexibilité et d'adaptation sociale. Ces déficits sont observables chez les souris et les humains. Grâce aux organoïdes humains, nous espérons être capables de modéliser cette région du cerveau afin de comprendre quels gènes, affectés au cours de son développement, peuvent contribuer au phénotype comportemental observé.»
En combinant les organoïdes, la microscopie de pointe et les approches computationnelles, Barbora Vidimova a l'intention d'observer les interactions aussi bien entre les synapses, qu’entre les synapses et les astrocytes, les cellules gliales du cerveau. Elle cherche également à évaluer l'évolution potentielle de leur morphologie au fil du temps.
« Notre objectif est de parvenir à une compréhension exhaustive du développement de ce syndrome. L'utilisation d'organoïdes nous apportera des connaissances importantes qui seront confirmées - seulement à la dernière étape - chez un organisme vivant tel que la souris, ce qui permet à la fois de remplacer et de réduire le nombre d'animaux. De plus, les organoïdes jouent un rôle essentiel dans le criblage de médicaments (drug screening). »
Bonne nouvelle : une plateforme d'organoïdes ouvrira ses portes au sein de la Faculté en 2024. Elle sera hébergée par le DNF mais accessible à toutes et tous, quelle que soit la thématique – ou l’organe – de travail.