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C’est avec tristesse que nous avons appris le décès du Professeur Giovanni Busino (1932-2022), survenu le 4 janvier 2022. Celles et ceux qui l’ont connu savent le rôle prépondérant qu’il a joué dans l’histoire de notre Faculté.
Après des études menées à Naples en droit et philosophie du droit – alors que les formations en sciences sociales étaient encore fort peu développées –, il commence sa carrière comme assistant à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève (1956-1960), puis comme chercheur dans l’entreprise Geigy à Bâle (1960-1963), et directeur littéraire des Editions Droz (1963-1969). À la suite de cette trajectoire variée et originale, Giovanni Busino rejoint l’UNIL pour succéder à Alphonse Silbermann et Pierre Jaccard, lesquels avaient pris le relais de l’enseignement de la sociologie qui était arrivée dans notre Université en la personne de Jean Piaget, mieux connu aujourd’hui pour ses travaux de psychologie du développement.
Giovanni Busino sera professeur extraordinaire d’histoire de l’analyse sociologique, de sociologie de la culture et de sociologie générale de 1968 à 1978, avant d’être promu professeur ordinaire de sociologie générale et d’histoire de l’analyse sociologique. Il a été, avec son collègue anthropologue, le Professeur Gérald Berthoud, l’un des piliers de l’Institut d’anthropologie et de sociologie (IAS). Aux côtés de l’ISS fleurissaient l’Institut des sciences sociales et pédagogiques (ISSP) dirigé notamment par la Professeure Geneviève Corajoud et le Professeur François-Xavier Merrien, l’Institut interdisciplinaire d’études des trajectoires biographiques (ITB) créé en 2001 par le Professeur René Lévy et l’Institut de sociologie des communications de masse (ISCM) mené par le Professeur Alfred Willener (1928-2016) et développé par le Professeur Paul Beaud (1942-2007) malheureusement décédé trop tôt l’année même de son départ en retraite, emporté par une maladie fulgurante. Ces quatre entités donneront naissance en 2009 à notre actuel Institut des sciences sociales.
Les très nombreux·euses étudiant·e·s qui ont suivi les cours du Professeur Busino se souviennent sans doute d’un enseignant élégant et érudit qui, sans notes et bien avant l’invention de PowerPoint, captivait son grand auditoire par des traversées souvent vertigineuses de la tradition sociologique, passant en revue les grands auteurs et distillant les concepts de base de cette discipline alors en plein foisonnement, traversée aussi par des tensions et controverses.
Sur le plan scientifique, Giovanni Busino a cultivé durant toute sa carrière un intérêt affirmé et déclaré pour la pensée sociologique dans ses dimensions historiques et épistémologiques. En témoigne son immense investissement dans l’étude de la pensée de Vilfredo Pareto dont il éditera, près de quarante ans durant, les œuvres complètes composées d’une trentaine de volume. Il sera aussi le fondateur et éditeur au long cours (1963-2010) de la Revue européenne des sciences sociales – née sous l’appellation Cahiers Vilfredo Pareto – qui constitua une part essentielle de sa vie intellectuelle, et vers laquelle il faisait converger les contributions de ses nombreux collègues réunis dans le groupe d’étude « Pratiques sociales et théorie » qu’il animera avec Gérald Berthoud de 1985 à 2002, année de son départ en retraite. Ces rencontres et la production scientifique qu’elles ont engendrée étaient caractérisées par un subtil alliage entre l’affirmation de la sociologie et de l’anthropologie comme disciplines fortes, irréductibles à des sciences auxiliaires, et une ouverture à d’autres domaines, tels la psychologie, la sémiologie, la logique, la géographie ou encore l’économie, invités pour ainsi dire à féconder une science sociale ouverte mais néanmoins proprement dotée d’une épistémologie sociologique, pour reprendre l’intitulé de l’un des cours du Professeur Busino qu’il reprendra dans son ouvrage « La permanence du passé. Questions d'histoire de la sociologie et d’épistémologie sociologique » (Librairie Droz, 1986).
Son départ, il y aura 20 ans cette année, sera radical, marqué par une certaine amertume envers l’institution universitaire qu’il confiera aux médias. Il n’est pas le lieu ici d’analyser les raisons de cette rupture, mais avec le recul, loin désormais des tensions et débats parfois violents qui ont traversé l’institutionnalisation des sciences sociales dans notre Université comme dans d’autres, on pourra la regretter car les apports de ce juriste devenu sociologue restent utiles pour comprendre la diversité des approches et des engagements de nos sciences sociales qui, au-delà de leurs différences et de leurs différends, ont l’humain en partage.
Faculté des SSP
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Pour en savoir plus sur la place du Professeur Busino et de ses nombreux collègues dans l’émergence et l’affirmation de notre Faculté, nous vous invitons à découvrir l’ouvrage « Récits facultaires. De l’Ecole à La Faculté des sciences sociales et politiques (1902-2022) », sous la direction de Jean-Philippe Leresche, dont le vernissage aura lieu le 16 février prochain.
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