Le deuxième article de notre série consacrée à l’expérimentation animale propose une plongée au cœur du système immunitaire pour comprendre les mécanismes d’acceptation ou de rejet de greffe et améliorer le devenir des organes transplantés.
Professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine, médecin adjointe et responsable de recherche au Laboratoire d’immunopathologie de transplantation du Centre de transplantation d’organes du CHUV, Déla Golshayan présente ses travaux. Elle explique pourquoi et comment, malgré des avancées toujours plus grandes et de nouvelles pistes d’études, la recherche dans le domaine de la transplantation implique aujourd’hui encore l’expérimentation animale.
Sur quoi vos recherches se concentrent-elles ?
Mes recherches se concentrent sur l’immunologie de la transplantation. Essentiellement les mécanismes qui conduisent au rejet de greffe d’organes solides. En ce sens, la question est de savoir comment il est possible de manipuler le système immunitaire pour prévenir le rejet. Ceci se découpe en sous-catégories, à savoir le développement de médicaments immunosuppresseurs, la possibilité d’immunothérapies ciblées, ainsi que la préservation de la fonction des organes greffés à long terme.
Pourquoi avez-vous besoin d’expérimentation animale et comment procédez-vous ?
La réponse immune est quelque chose de très complexe qui implique une série de partenaires cellulaires et tissulaires. Il est très difficile de reproduire ces mécanismes in vitro. Les modèles 3D se développent mais ne sont pas encore suffisants. Nous avons besoin de l’expérimentation animale parce les interactions entre les organes greffés et le système immunitaire sont complexes. J’utilise donc des modèles de souris avec lesquelles nous reproduisons la réponse immune à des antigènes spécifiques. Concernant les greffes, nous utilisons en priorité la peau dans la mesure où il s’agit d’une chirurgie facile à réaliser et peu compliquée ou douloureuse pour la souris. Ces interventions pratiquées sous anesthésie générale ne modifient pas la survie des animaux. Nous étudions également la fonction des organes et les effets de nouveaux immunosuppresseurs en cours de développement en administrant ces médicaments aux souris. Il faut aussi savoir que lors d’une greffe, le début du processus est un moment critique. Nous travaillons donc aussi avec des modèles chirurgicaux reproduisant le prélèvement et l’implantation des organes. Par exemple le rein et l’effet de l’interruption puis du rétablissement de la circulation sanguine dans un organe lors de la transplantation. Dans le cadre de ces recherches, nous avons besoin d’un organisme complet qu’il est impossible de récapituler in vitro.
Quels modèles alternatifs explorez-vous ?
Nous faisons beaucoup de cultures cellulaires et manipulons les différentes cellules immunes pour étudier leur fonction in vitro. En tant que clinicienne-chercheuse, j’ai aussi accès à des cohortes de patients ayant accepté de donner des échantillons biologiques à des fins de recherche. Nous travaillons en particulier avec la cohorte suisse de transplantation qui dispose d’une biobanque de cellules et de matériel de biopsies d’organes greffés. Ces recherches sont évidemment soumises à des régulations strictes. Nous pouvons donc dans une certaine mesure étudier la réponse immunitaire de l’hôte et l’effet des médicaments sur des cellules humaines issues de patients greffés, en comparaison à des patients sains. De plus en plus de travaux utilisent désormais des organoïdes comme modèle expérimental. Il s’agit de reconstituer des mini-organes que l’on peut cultiver in vitro, à partir de cellules humaines et en reproduisant l’architecture tissulaire d’origine. Ceci permet de combler partiellement le gap entre la partie in vitro et in vivo, mais la méthode n’est pas encore parfaite. Dans un modèle de ce type, manque par exemple la circulation sanguine et les interactions avec les autres tissus d’un organisme complet.
Quels sont les domaines d'application de vos recherches et les résultats de celles-ci ?
Après une transplantation d’organe solide, nous avons besoin de prévenir le rejet et assurer une bonne fonction du greffon à moyen et long terme. Il s’agit d’investiguer les mécanismes immunitaires impliqués, puis trouver comment les réguler. Dès lors, nous testons, trouvons et validons de nouvelles molécules avec des effets immunosuppresseurs. Nous devons travailler sur des organismes complets et pas seulement sur des cultures cellulaires. Pour arriver à de nouvelles stratégies thérapeutiques applicables en clinique dans le domaine des transplantations, nous sommes obligés d’analyser l’efficacité et la possible toxicité de nouvelles thérapies sur des modèles in vivo. Dans notre laboratoire, nous travaillons aussi à induire la tolérance. À savoir manipuler le système immunitaire pour ne plus avoir besoin de médicaments antirejet, en utilisant la thérapie cellulaire. Il s’agit de manipuler les cellules de l’hôte in vitro avant de les réinjecter chez ce même hôte qui va recevoir une allogreffe (greffe d’une personne à une autre, ndlr). Basées sur des résultats précliniques, y compris des publications issues de notre laboratoire, des études cliniques d’induction de tolérance peuvent aujourd’hui être menées chez des patients. Mais avant d’en arriver là, il a fallu optimiser le processus sur des animaux
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