Les citoyennes et citoyens suisses s'exprimeront le 13 février sur l'Initiative populaire « Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine». Que la société discute de cette question est une chose positive. Pour l’UNIL, c’est une opportunité d’expliquer ce qu’elle entreprend dans ce domaine. Pourquoi a-t-on besoin de recourir à l’expérimentation animale ? Interviews de quelques chercheuses et chercheurs qui tentent de faire avancer la science et la médecine.
Cette série d’interviews commence avec Manuele Rebsamen. Professeur assistant en prétitularisation conditionnelle au Département de biochimie de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, le chercheur travaille à la compréhension des mécanismes qui permettent au système immunitaire de détecter et de réagir à la présence d’un pathogène, qu’il s’agisse d’un virus ou une bactérie. Il présente ses travaux, des études moléculaires à l’expérimentation animale.
Sur quoi vos recherches se concentrent-elles ?
Manuele Rebsamen: La recherche que nous développons en ce moment s’intéresse au système immunitaire et comment celui-ci répond aux infections virales et bactériennes. Nous étudions les mécanismes, au niveau moléculaire, qui contrôlent comment les organismes et les cellules répondent au stress. Comprendre les mécanismes par lesquels le système immunitaire est capable de détecter la présence d’un virus ou d’un agent pathogène. Je m’intéresse particulièrement aux premières lignes de défense. Il faut savoir que le système immunitaire est partagé en deux parties : le système inné et le système adaptatif. La partie innée est la première ligne de défense, qui consiste à reconnaître la présence d’un pathogène et d’induire les premières réponses immunitaires. Nous nous intéressons donc à l’étude des senseurs et des protéines responsables de l’identification des pathogènes. On peut comparer cela à un détecteur d’incendie. Dès qu’un danger potentiel est identifié, de la fumée, le système déclenche ensuite la réponse. Dans ce cas de figure, l’eau et, si nécessaire, une alarme chez les sapeur-pompiers. D’autre part, il ne faut pas que le système se déclenche s’il n’y a pas d’incendie, car l’eau causerait des dégâts inutiles. Ce cas est comparable aux maladies autoinflammatoires et auto-immunes.
Pourquoi avez-vous besoin d’expérimentation animale et comment procédez-vous ?
La question à laquelle nous tentons de répondre est l’importance de ces mécanismes dans un organisme complet. La complexité y est évidemment plus grande. Il est impossible de répondre à ces questions in vitro, sur la base d’un seul type de cellules. Dans l’organisme, il y a beaucoup de types de cellules, immunitaires et non immunitaires, et de nombreux récepteurs. Les cellules réagissent et interagissent différemment selon le stade de développement d’une infection, virale ou bactérienne. Il devient donc essentiel, à un certain moment, d’étudier tout ceci dans des modèles in vivo. Dans notre cas, avec des souris. Dès lors que nous avons une réelle idée de la fonction d’une protéine, de son fonctionnement et dans quelle « voie de signalisation » elle est impliquée, il nous faut vérifier ceci dans un système global et sur des cellules primaires, qui n’ont donc pas subi de modifications en laboratoire. Si on bloque une protéine chez une souris, obtient-on vraiment le résultat auquel on s’attend ? La protéine a-t-elle d’autres rôles auxquels nous n’aurions pas pensé ? En cas d’inactivation, d’autres problèmes surgissent-ils dans l’organisme ? L’idée est de passer d’un type de cellules spécifiques à un organisme entier avec toute sa complexité. Concrètement, la première phase consiste à modifier, la plupart du temps d’inactiver un gène chez une souris, pour isoler et caractériser différents types de cellules immunitaires. La deuxième étape, que nous allons démarrer, consiste à injecter des activateurs d’une voie de signalisation. Il s’agit ensuite d’infecter une souris avec un virus pour étudier la réponse immunitaire dans le système global. Si ces résultats se révèlent concluantes, le but à long terme sera de développer des molécules chimiques qui ciblent ces mécanismes et évaluer s’ils peuvent être à la base de futurs médicaments.
Quels modèles alternatifs explorez-vous ?
La grande partie de notre travail se fait in vitro, en utilisant des cellules immortalisées (transformation d’une culture cellulaire pour obtenir des lignées capables de se diviser de façon illimitée, ndlr). Toute la partie de la découverte des molécules et des mécanismes n’implique pas d’expérimentation animale. Ce qui est plus simple, plus rapide et moins cher, parce qu’on peut facilement manipuler des lignées cellulaires (populations homogènes de cellules, ndlr). Des cellules qu’on peut garder en culture bien plus longtemps aussi. Nous faisons le plus possible, toute la caractérisation des mécanismes au niveau moléculaire, dans des cellules immortalisées. Mais là aussi nous sommes limités, parce que nous ne disposons pas de tous les types cellulaires. Nous faisons tout notre possible pour limiter au plus le travail sur les animaux. Mais à un certain stade, pour aller au bout d’une recherche, nous n’avons pas le choix. Sinon d’arrêter. Il est en revanche certain que nous ne pouvons pas passer de la phase in vitro à l’humain directement, dans la mesure où le travail in vivo vise à vérifier les résultats in vitro. Beaucoup de choses fonctionnement in vitro mais ne montrent pas les mêmes effets dans un système complet et complexe. D’autres mécanismes peuvent entrer en jeu et annuler les effets attendus. Dans le cas de molécules chimiques développées pour cibler ces mécanismes, elles pourraient ne pas s’avérer assez puissantes pour bloquer un système, ou elles pourraient toucher quelque chose d’autre dans l’organisme avec des effets secondaires potentiellement délétères. Même si des modèles plus sophistiqués se développent aujourd’hui, comme les organoïdes (reproduction in vitro d’un mini-organe, ndlr), on ne peut pas passer des études in vitro à des essais cliniques directement.
Quels sont les domaines d'application de vos recherches et les résultats de celles-ci ?
Nous avons identifié une protéine qui induit une partie du « signal d’alarme ». Nous étudions en ce moment comment fonctionne le système et si cette partie de la signalisation est essentielle pour le déclenchement de la réponse immunitaire. S’agissant des nouveaux mécanismes et de nouvelles protéines, nous travaillons à comprendre le fonctionnement moléculaire. Des indications montrent que leurs composants pourraient être importants dans le cas de maladies auto-inflammatoires et auto-immunes. La recherche étant toutefois en cours, des données solides et les résultats des études in vivo n’arriveront que dans deux ou trois ans. La finalité consiste à mieux comprendre le fonctionnement du système immunitaire et évidemment à savoir si des pistes de traitements sont possibles grâce à nos découvertes. Pour intervenir sur des maladies, nous cherchons à comprendre tous les mécanismes au niveau moléculaire, puis leurs effets au niveau de l’organisme.
Pour en savoir plus
https://www.unil.ch/fbm/fr/home/menuinst/recherche/experimentation-animale.html
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