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La vente et l’achat d’animaux de compagnie favorisent la dispersion à travers le monde d’espèces déjà invasives ou qui risquent de le devenir. Ce cercle vicieux, révélé par Jérôme Gippet et Cleo Bertelsmeier au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, fait l’objet d’une étude publiée dans "PNAS".
Mammifères, oiseaux, amphibiens ou encore poissons, des dizaines de millions d’animaux de compagnie «exotiques» sont commercialisés chaque année. Par mégarde – ou volontairement mais sans réfléchir aux conséquences –, les propriétaires libèrent parfois ces espèces dans la nature. Toutes ne deviennent pas problématiques, mais celles qui arrivent à survivre, à s’établir et à se reproduire dans leur nouvel environnement, peuvent causer des dégâts considérables sur la biodiversité locale, l’agriculture, l’économie ou encore en termes de santé publique. Avec ses grands yeux noirs et ses élégantes rayures, le tamia de Sibérie, un écureuil originaire d’Asie, a par exemple longtemps été prisé comme animal domestique. Relâché dans la nature, il a constitué des populations pérennes, notamment en France, en Belgique ou en Italie et est devenu invasif. Ce rongeur très parasité par les tiques contribue aujourd’hui à répandre la maladie de Lyme en Europe de l'Ouest.
Espèces invasives surreprésentées
Une recherche réalisée par Cleo Bertelsmeier et Jérôme Gippet, respectivement professeure assistante et postdoctorant au Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, décrit précisément l’impact du commerce d’animaux de compagnie dans les processus d’invasions biologiques. Plus spécifiquement, les travaux montrent comment ce marché contribue à disperser des espèces déjà problématiques. Ils font l’objet d’une publication dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS).
Les biologistes se sont d’abord focalisés sur les cinq familles de vertébrés: les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons. En combinant divers jeux de données, ils ont déterminé que, parmi les 7522 espèces proposées à la vente dans le monde, 12,6% constituent une menace. En moyenne, ces espèces invasives s’avèrent 7,4 fois plus fréquentes dans le groupe des animaux commercialisés. En comparaison avec le groupe naturel de vertébrés (67'181 espèces répertoriées sur le globe).
Fourmis à portée de clic
Pour mieux comprendre cette surreprésentation, l’équipe s’est penchée sur le cas, très récent, des fourmis. Depuis l’avènement du commerce en ligne, chacun peut, en quelques clics, se faire livrer des insectes à exposer dans son salon. Une activité florissante puisque Jérôme Gippet, premier auteur de l’étude, a recensé quelque 100 vendeurs proposant, au total, plus de 500 espèces de fourmis de compagnie. «Nos analyses révèlent que, comme chez les vertébrés, les espèces connues pour être invasives sont davantage présentes sur le marché», explique le postdoctorant.
«Mais on sait aussi que ce commerce est trop jeune pour être responsable des invasions de fourmis connues pour le moment !, poursuit Cleo Bertelsmeier, directrice de l’étude. Chez ces insectes sociaux, la surreprésentation des espèces problématiques ne peut être due qu’à leur plus fort succès commercial.» Jusqu’à présent, l’hypothèse principale pour expliquer cette prédominance était que, achetés et vendus depuis des décennies, les animaux de compagnie avaient eu de nombreuses opportunités pour devenir invasifs au cours du temps. Ces recherches montrent donc qu’un deuxième mécanisme peut augmenter les risques d’invasions biologiques liés aux transactions internationales d’espèces domestiques «exotiques».
Insectes problématiques davantage prisés
Les fourmis invasives présentent de nombreux traits communs. Elles bénéficient par exemple d’une large répartition spatiale et se révèlent peu exigeantes en termes d’habitat. Or ces deux caractéristiques constituent précisément des attraits commerciaux: en raison de la présence étendue de ces insectes, les vendeurs peuvent facilement se les procurer. Et puisque ces espèces survivent dans des environnements variés, elles sont faciles à entretenir pour les propriétaires. En clair, ce qui fait le caractère invasif d’une fourmi fait aussi son succès sur le marché. «Non seulement les espèces problématiques ont donc davantage de chances d’être importées et exportées mais, en plus, ces échanges créent des opportunités pour des animaux qui ne sont pas encore dangereux et pourraient le devenir», souligne Cleo Bertelsmeier. Un cercle vicieux augmentant le risque d’invasion biologique à l’échelle du globe.
Règles lacunaires
Au regard de ces travaux, les scientifiques du DEE plaident pour de meilleures règlementations. «Même si l’on sait que les fourmis de feu, par exemple, causent des dégâts se chiffrant en milliards, aucune loi internationale n’interdit leur vente et leur importation», illustre la chercheuse.
Du côté des vertébrés, le commerce est mieux contrôlé mais la grande majorité des règlements ont pour but de protéger les espèces menacées, non de prévenir des invasions biologiques ou la transmission de maladies à l’être humain par exemple. Il existe en Europe une seule liste noire d’espèces prohibées à la vente en raison du danger qu’elles représentent. Elle ne contient que 30 animaux et 30 végétaux. «Autant dire qu’elle n’est pas du tout exhaustive, compte tenu de la quantité d’espèces potentiellement problématiques qui existent dans le commerce, poursuit Jérôme Gippet. Nos travaux montrent que, même sans le vouloir, le marché a naturellement tendance à favoriser les espèces invasives. Peut-être faudrait-il interdire par défaut l’import/export d’animaux de compagnie et n’autoriser que ceux qui ne présentent aucun risque. L’idée étant de privilégier une liste blanche. Et non une liste noire.»