Après plus de dix ans d’enquête ponctués d’échecs et de travail acharné, le groupe de recherche du Prof. Philippe Reymond, au Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL, en collaboration avec deux équipes genevoises, a découvert une molécule de l’œuf d’insectes qui est détectée par la plante et entraîne une réponse de défense. Cette étude, récemment parue dans la revue « eLife », ouvre la voie à l'élaboration d'insecticides naturels novateurs.
Comme les êtres humains, les plantes sont capables de lutter contre une attaque microbienne ou par un insecte herbivore. Tels de fins stratèges, les végétaux reconnaissent l’assaillant dès un stade précoce de développement, c’est-à-dire les œufs d’insectes. Le laboratoire du Prof. Philippe Reymond, directeur du Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, travaille sur la réponse des plantes aux œufs d’insectes. Ce mécanisme de défense immunitaire efficace est comparable à celui que l’humain développe contre une bactérie pathogène, par exemple. Il est tripartite : un émetteur, un message émis et un récepteur. Dans le cas des œufs d’insectes en tant qu’émetteurs, les messagers et les récepteurs sont encore inconnus.
Après dix années passées à fouiller dans les milliers de molécules qui composent les minuscules œufs du papillon Pieris brassicae, les chercheurs de l’UNIL y trouvent le premier composé responsable de l’activation d’une réponse immunitaire chez l’Arabette des dames (Arabidopsis thaliana). Ce produit appartient à la famille des phosphatidylcholines, des phospholipides communs retrouvés dans une large variété d’aliments, tels que le jaune d’œuf ou le soja. Il est un constituant principal des membranes cellulaires en général.
De la purification massive d’œufs d’insectes à l’identification précise d’une molécule
L’histoire a commencé avec un étudiant en thèse, le DrSc. André Schmiesing, coauteur de l’article, qui multiplie les extraits d’œufs d’insectes et les tentatives de purification de substances actives que le groupe de recherche appelle « EAMPS » pour « Egg-Associated Molecular Patterns ». Puis c’est au tour du DrSc. Elia Stahl, postdoctorant et premier auteur de l’étude, de prendre la suite du projet. « Elia a su faire preuve de précision et de persévérance dans la préparation des échantillons et la validation des composés actifs, ce qui nous a permis de découvrir cette molécule que nous cherchions depuis tant d’années », se réjouit le Prof. Philippe Reymond.
La structure de cette substance a été mise en évidence par des techniques pointues de chimie analytique maîtrisées par des experts de l'Université de Genève. Grâce à la spectroscopie RMN (résonnance magnétique nucléaire), couplée à la spectrométrie de masse, les collaborateurs ont identifié des phospholipides, et plus précisément des phosphatidylcholines.
Un composé actif
Le professeur et son équipe ont démontré que les phosphatidylcholines présentes dans les œufs d'insectes diffusent à la surface des feuilles d’Arabidopsis. Ces messagers sont ensuite reconnus par la plante. « Cette détection engendre une puissante réponse chez le végétal : l’accumulation d’acide salicylique, l’expression de gènes de défense, la production de peroxyde d’hydrogène et la mort cellulaire », précise Philippe Reymond. Cette panoplie d’effets toxiques représente des marqueurs précis de l’immunité ciblée de la plante, confirmant ainsi que les composés libérés par les œufs sont bien actifs. Pour la réception du message, les chercheurs ont une première piste. Un candidat potentiel serait le récepteur LecRK-I.8 ; en son absence, la réponse immunitaire est réduite.
Un « boost » immunitaire en spray pour armer naturellement les plantes ?
De plus en plus, l’agriculture est encouragée à protéger les cultures avec des insecticides naturels et moins polluants pour la planète. Les phosphatidylcholines identifiées par le groupe de scientifiques pourraient être synthétisées et pulvérisées sur les plantes pour les aider indirectement à combattre les herbivores. En effet, vaporiser ce composé actif sur les plantations permettrait d’induire une réponse immunitaire végétale efficace, sans pour autant détruire directement tout insecte de façon non spécifique (comme le font par exemple les néonicotinoïdes ou encore plus toxiques les organochlorés, tels que le fameux DTT).
« L’environnement universitaire permet aux chercheuses et chercheurs de se risquer à entreprendre des projets difficiles et longs, un climat favorable aux nouvelles découvertes », conclut le professeur. Toutefois, il reste encore à préciser comment exactement cette molécule pénètre dans la plante et y est reconnue. Les scientifiques lausannois planchent déjà sur la question.