Dans un article récemment paru dans le journal « New Phytologist », le Prof. Philippe Reymond et le postdoctorant Zigmunds Orlovskis du Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL ont découvert qu’une plante appelée Arabette des dames envoie, à travers le sol, des signaux qui protègent ses congénères d’attaques ennemies.
Depuis environ 400 millions d’années, les plantes et les insectes coexistent. Ces derniers colonisent plus de la moitié des espèces végétales. Grâce à cette étroite interaction, ces deux formes de vie s’adaptent de façon mutuelle et coévoluent donc sans cesse.
Professeur associé et directeur du Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, le Prof. Philippe Reymond et son groupe de recherche étudient depuis de nombreuses années la réponse des plantes aux œufs d’insectes et ses conséquences biologiques et écologiques. Avec son postdoctorant, le DrSc. Zigmunds Orlovskis, le professeur vient de mettre en évidence que l’Arabette des dames (Arabidopsis thaliana) non colonisée par des œufs de papillon acquiert un bouclier antibactérien. Ce système de défense se met en place grâce à un message envoyé par une Arabette avoisinante, sur laquelle des œufs ont déjà été déposés. Cette nouvelle découverte, publiée le 3 juillet 2020 dans la revue New Phytologist, a une importance écologique. « Au-delà d’être immunisée contre des infections, grâce à ce phénomène, l’Arabette des dames mettrait également à disposition un garde-manger de plantes saines pour l’insecte herbivore », note le professeur.
Les végétaux se défendent
Les plantes perçoivent leur environnement. Elles détectent par exemple leurs insectes ennemis à différents stades de développement, tels que la chenille (larve de papillon) ou encore l’œuf. Les végétaux sont aussi capables d’identifier la présence de bactéries ou champignons microscopiques pathogènes. Leur système de lutte peut se diviser en deux branches : local et systémique. D’une part, la plante produit localement des composés toxiques pour écarter la menace de façon directe, ce qui fait penser à la réaction immunitaire innée de l’humain. D’autre part, la résistance systémique acquise aide à préserver les autres parties du végétal d’une future attaque, lui conférant une mémoire, à l’instar des anticorps qui sont produits lors de la réponse immunitaire adaptative chez l’être humain.
Les plantes communiquent pour sauver leur peau
Une des thématiques du laboratoire du Prof. Reymond est d’examiner la réaction d’Arabidopsis lors du dépôt d’œufs de la piéride du chou (Pieris brassicae), une espèce de papillon, sur les feuilles du végétal. Ce processus est primordial car il permet à la plante de retirer cette épée de Damoclès suspendue au-dessus d’elle : devenir un futur repas. L’équipe lausannoise avait précédemment montré que les mécanismes de défense contre les œufs d’insectes étaient différents de ceux développés contre la chenille elle-même.
Le Prof. Philippe Reymond et le DrSc. Zigmunds Orlovskis ont désormais mis en évidence l’induction d’une résistance systémique acquise dans une Arabidopsis non colonisée par les œufs de la piéride du chou. Comment cela est-il possible ? « Le papillon dépose ses œufs sur une première Arabette des dames, ce qui entraîne la transmission d’informations à travers le sol jusqu’à une Arabette voisine. Cette dernière bénéficie ensuite d’une protection accrue contre des bactéries pathogènes, en l’occurrence Pseudomonas syringae », explique le professeur.
Grâce à des techniques génétiques et biochimiques, les chercheurs ont identifié les molécules impliquées dans ce phénomène au niveau de la plante émettrice (l’acide pipécolique) et de la plante réceptrice (l’acide salicylique), respectivement. Les deux scientifiques ont découvert que le transport avait lieu au niveau des racines, dans le sol, et non par voies aériennes. Toutefois, il reste encore à découvrir le chaînon manquant, c’est-à-dire la nature exacte des messagers qui voyagent à travers la terre et relaient les informations envoyées d’un végétal à l’autre.
Une solidarité végétale qui profiterait aussi aux insectes
« D’un point de vue écologique, cette communication végétale a un bienfait direct sur la plante qui devient alors mieux protégée contre d’éventuelles attaques microbiennes. En parallèle, la piéride du chou pourrait aussi y trouver un grand avantage puisqu’elle dispose alors de plus de plantes saines pour se nourrir », décrit Philippe Reymond. Cette hypothèse devra être vérifiée dans de futures expériences.