Des cellules «zombies» génèrent des neurones

Le Prof. Richard Benton et son équipe au Centre intégratif de génomique de l’UNIL montrent qu’en empêchant la mort de certaines cellules durant la croissance du cerveau, celles-ci se développent en neurones. L’étude, menée sur la mouche du vinaigre, a fait la couverture de la revue "Science Advances" du 11 mars 2020.

Organe olfactif chez la mouche du vinaigre. À gauche, un animal sauvage dont les neurones apparaissent en violet. À droite, un animal chez qui des cellules vouées à mourir ont été maintenues en vie par les chercheurs et se sont développées en nouveaux neurones (en vert clair) © Steeve Cruchet, CIG-UNIL

Durant le développement du cerveau, une grande partie des neurones créés s’autodétruit. Chez l’être humain, ce «suicide» cellulaire programmé, appelé apoptose, conduit à la disparition d’environ 50% des neurones dans certaines régions cérébrales. Il s’agit d’un mécanisme régulateur essentiel qui permet d’éliminer l’excès de cellules produites. Mais pas seulement. L’équipe de Richard Benton, professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, a montré qu’en changeant le destin des cellules condamnées à mourir, ces dernières se développent naturellement en nouvelles populations de neurones. Ces travaux, menés en collaboration avec des chercheurs d’Angleterre (Francis Crick Institute) et d’Allemagne (Institut Max-Planck d'écologie chimique), sont à découvrir depuis le 11 mars 2020 dans Science Advances, une revue en open access, disponible en ligne uniquement et appartenant à la famille des publications Science.

Bloquer le hara-kiri cérébral

L’équipe de Richard Benton est spécialisée dans l’étude de l’évolution du système nerveux, en particulier de l’odorat, chez la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster). Cet insecte reconnaît les odeurs grâce à ses antennes (équivalent du nez chez l’être humain), recouvertes de poils qui contiennent les neurones olfactifs. Durant la métamorphose, lorsque le cerveau se développe pour atteindre le stade adulte, chacun des poils est créé à partir d’une cellule qui se divise pour former – potentiellement – quatre neurones «frères». Mais, dans la plupart des poils, deux de ces cellules sont éliminées en cours de route.

Dans le cadre de leurs recherches, les scientifiques ont génétiquement inhibé le dernier stade de l’apoptose, celui où la cellule s’autodétruit totalement, et ont observé le comportement de ces «zombies». «Nous avons eu la surprise de découvrir qu’ils se développent en neurones fonctionnels, souligne Richard Benton, directeur de l’étude. Ils sont capables d’exprimer les récepteurs olfactifs nécessaires pour percevoir les odeurs, émettent des signaux électriques et prolongent leurs fibres nerveuses (axones) jusque dans le cerveau.» Les travaux montrent toutefois que leurs rôles et leurs propriétés ne sont pas strictement identiques à ceux des neurones existant déjà. En effet, les cellules «survivantes» forment de nouveaux réseaux dans le cerveau.

Des mouches-moustiques

Dans un second temps, les chercheurs ont comparé des moustiques (Anopheles gambiae) à des drosophiles. Les premiers possèdent un type de poils sensoriels qui contient trois neurones, soit un de plus que chez les drosophiles. Fait intéressant, cette cellule additionnelle exprime des récepteurs capables de détecter le dioxyde de carbone (CO2), et donc la présence humaine. Chez les mouches étudiées, les nouveaux neurones apparus suite à l’arrêt de l’apoptose présentent les mêmes caractéristiques. Ainsi, en faisant survivre des cellules vouées à mourir, les biologistes ont en quelque sorte «gommé» la différence entre ces ceux espèces d’insectes, issues d’un même ancêtre commun qui vivait il y a 250 millions d’années. «Ceci indique que des changements dans l’apoptose sont en partie responsables de l'adaptation des moustiques et des drosophiles à leurs milieux spécifiques», souligne Richard Benton.

Une sensibilité accrue qui constitue un avantage

D’un point de vue évolutif, l’étude montre que des cellules vouées à mourir ont conservé, au cours du temps, la capacité à se développer en neurone. «Cela suggère qu’elles pourraient à l’avenir jouer un rôle déterminant si une espèce est amenée à devoir s’adapter à de nouvelles pressions de son environnement», explique le professeur. En effet, même si les chercheurs n’ont pas étudié en détail le comportement de mouches possédant davantage de neurones olfactifs, cette augmentation permet théoriquement aux animaux de percevoir les odeurs avec plus de sensibilité. Ceci peut jouer un rôle essentiel pour détecter un partenaire, de la nourriture ou un danger et ainsi représenter un avantage par rapport aux autres individus.

«De manière générale, posséder davantage de neurones pourrait augmenter la capacité du cerveau à former et à stocker des souvenirs. Peut-être que cela protège aussi l’organisme, qui pourrait survivre plus longtemps s’il a plusieurs cellules qui assurent la même fonction», suppose Richard Benton. Dès lors, pourrait-on imaginer inhiber l’apoptose pour former de nouveaux neurones compensant ceux détériorés chez les patients souffrant, par exemple, des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson? Difficilement, selon le professeur. En effet, l’essentiel de la production neuronale – et donc des possibilités de la modifier – a lieu lorsque le cerveau se développe, soit jusqu’à l’adolescence. Or, les maladies neurodégénératives apparaissent à l’âge adulte; phase de vie durant laquelle il n’y a que peu de production (et d’élimination) de neurones dans le cerveau.

Publié du 11 mars 2020 au 10 avril 2020
par Mélanie Affentranger - Communication FBM
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