Les fourmis prennent goût au voyage

Plus les fourmis sont introduites par l’Homme dans des régions dont elles ne sont pas originaires, plus elles ont tendance à poursuivre leur périple vers de nouvelles destinations. C’est ce que suggère une étude publiée par Cleo Bertelsmeier et Laurent Keller, du Département d’écologie et évolution. Les résultats présagent une augmentation des invasions biologiques à l’échelle du globe.

F. Ducrest © UNIL

Les fourmis figurent parmi les pires espèces invasives. La variété de leurs modes de vie, de leurs habitats et la complexité de leur structure sociale leur ont permis de coloniser tous les continents, à l’exception de l’Antarctique. Parmi les quelque 13’000 espèces connues, 241 ont été transportées accidentellement par l’Homme au-delà de leurs aires de répartition originelles. Dix-neuf d’entre elles sont considérées comme invasives en raison des dommages qu’elles occasionnent à la biodiversité, à l’agriculture et à l’économie locale, entre autres. 

Contre vents et marées

Pour mieux comprendre les processus d’invasions biologiques et la manière dont ces insectes se dispersent à l’échelle du globe, Cleo Bertelsmeier, postdoctorante, et Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et évolution de l’UNIL, ont analysé des données collectées dans les ports maritimes et aéroports des Etats-Unis et de Nouvelle-Zélande. Des fourmis y ont été interceptées à plus de 4500 reprises au cours des 100 dernières années. 

Dans une étude publiée le 7 mai dans PNAS  (une revue éditant les comptes rendus de l'Académie américaine des sciences), les chercheurs de l’UNIL ont révélé que près de 75% des fourmis entrant aux Etats-Unis n’arrivaient pas directement depuis leur territoire d’origine, mais débarquaient de régions qu’elles avaient déjà précédemment colonisées. Pour la Nouvelle-Zélande, ces introductions dites « secondaires » grimpaient même jusqu’à près de 90%. 

« Dans les deux cas, les insectes entraient via des zones géographiquement proches entretenant d’intenses échanges commerciaux, en particulier de fruits et légumes : pays d’Amérique latine pour les Etats-Unis et îles du Pacifique (Tonga, Fiji, Samoa) pour la Nouvelle-Zélande », indique Cleo Bertelsmeier, première auteure de l’étude.

Effet boule de neige

Les biologistes ont également montré que les succès d’introduction, d’établissement et de dispersion des insectes étaient corrélés. « Nous avons observé un effet boule de neige, indique Laurent Keller. Plus les animaux voyagent, plus ils ont de chances de s’établir dans un grand nombre de régions. Et plus ils s’établissent, plus ils ont tendance à poursuivre leur périple vers de nouvelles contrées. » Le processus d’expansion s’alimente donc lui-même, ce qui laisse présager une augmentation des invasions biologiques dans le futur. 

Les espèces qui sont à leur deuxième étape de voyage figurent en outre parmi les plus problématiques. Les entomologistes illustrent leur propos à l’aide du cas de la fourmi de feu, particulièrement résistante et agressive. Originaire d’Amérique du Sud, elle a été transportée aux Etats-Unis dans les années 30. Les dégâts qu’elle y provoque se chiffrent à plusieurs milliards de dollars par an. Depuis le nord de l’Amérique, elle a ensuite été introduite en Chine et, depuis peu, a été interceptée au Japon, en provenance de Hong Kong. 

Ces travaux récents soulignent à nouveau les liens étroits entre la mondialisation, en l’occurrence ici les échanges internationaux de marchandises, et les mécanismes de dispersion des espèces animales. Dans une étude publiée en juin 2017, les deux chercheurs avaient déjà montré que les fourmis s’étaient dispersées à travers le globe en suivant deux grandes vagues d’essor du commerce international. 

 

Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et évolution, et Cleo Bertelsmeier, postdoctorante. F. Ducrest © UNIL
Publié du 7 mai 2018 au 21 mai 2018
par Mélanie Affentranger (Unicom)
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