Parce que la FBM, ce ne sont pas que les professeur-e-s ordinaires, nous présentons chaque mois un-e jeune chercheur-euse, issu-e des sciences fondamentales ou cliniques, ou un membre du Personnel administratif et technique (PAT). Ce mois, c'est Sara Mitri, maître assistante Ambizione au Département de microbiologie fondamentale (DMF) de l'UNIL, qui se prête à l'exercice.
Pouvez-vous résumer brièvement votre parcours?
J'ai débuté par l'informatique, avant de venir plus tard à la microbiologie. J'ai obtenu mon Bachelor en informatique au Caire, puis mon Master à Edimbourg. C'est à l'EPFL, où j'ai effectué ma thèse de 2005 à 2009, que j'ai fait plus ample connaissance avec la biologie: j'avais en effet deux directeurs de thèse, Dario Floreano, directeur du Laboratoire des systèmes intelligents de l'EPFL, et Laurent Keller, de l'UNIL. L'idée était de combiner la robotique avec la biologie pour simuler les mécanismes d'évolution. Je suis ensuite partie à Harvard aux Etats-Unis, puis à Oxford en Angleterre, dans le groupe du Professeur Kevin Foster. Nous nous intéressions aux interactions sociales entre les microbes, plus spécifiquement les bactéries. Je travaille sur la même thématique ici au DMF. J'ai obtenu un Ambizione du FNS en 2015, qui m'a permis de créer un groupe de recherche. Le DMF est un petit département, mais il est aussi très collaboratif. J'y ai trouvé une culture scientifique très propice.
Qu'entendez-vous par les interactions sociales des bactéries?
Nous étudions par exemple les interactions entre différentes souches de la même espèce, dotée d'un phénotype coopératif. Que se passe-t-il pour la communauté si un mutant cesse de coopérer? Est-elle déstabilisée, ou retrouve-t-elle un équilibre? Et nous appliquons ensuite nos conclusions à des populations microbiennes comprenant plusieurs espèces. Il faut bien comprendre que dans un environnement normal, c'est-à-dire non contrôlé, comme par exemple une infection dentaire, nous avons affaire à des populations très denses, où beaucoup d'espèces vivent ensemble. Il est donc capital de comprendre leurs interactions. Ou encore de comprendre ce qui se passe en cas d'invasion par une autre espèce de bactérie: qu'est-ce qui fait qu'une communauté est résistante aux invasions? C'est à l'ensemble de ces questions que nous essayons de répondre.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de vos méthodes de recherche?
Je combine l'informatique avec la microbiologie: je passe 50% de mon temps en laboratoire, et 50% à développer des modèles mathématiques ou computationnels pour expliquer ou soutenir nos résultats de labo. Concernant notre système expérimental, nous étudions actuellement un écosystème contenant cinq espèces bactériennes utilisées pour la «bioremediation» - elles ont été isolées par une équipe d'Oxford, et font l'objet d'un brevet. Ces cinq bactéries combinées sont capables de dégrader, c'est-à-dire de transformer en eau, 75% des polluants présents dans de l'huile pour lubrifier les machines, provenant de l'industrie. Ce qui nous intéresse dans notre labo, c'est d'analyser leurs interactions, de voir si elles interagissent sur un mode coopératif ou concurrentiel par exemple. L'avantage des bactéries comme modèle expérimental, c'est qu'on peut observer ce qui se passe sur 500 générations ou plus, puisqu'elles se divisent une fois par heure!
Un organisme fascinant...
En effet. Je l'ai d'abord utilisé comme moyen, comme modèle d'évolution, pour les raisons que je viens de citer, mais mon intérêt se porte désormais sur la bactérie en soi. Car la compréhension de cet organisme, de ses interactions avec des bactéries de la même espèce ou d'autres espèces, peut entraîner de multiples applications. Je pense bien sûr au domaine de la santé, où on pourrait apprendre à battre les pathogènes en cas d'infection par exemple; mais aussi à la dépollution des sols contaminés, à la fertilisation des sols, etc.
Vous êtes venue de l'informatique, de la robotique aux sciences de la vie: pourquoi cette réorientation?
Beaucoup de chercheurs issus de la physique, des mathématiques s'orientent vers la biologie. Je pense qu'on se rend compte aujourd'hui que la biologie a besoin d'être plus quantitative, qu'il ne suffit pas de faire des expériences. C'est un moment important pour cette science, où des connaissances provenant d'un peu partout se rencontrent. Pour moi, c'est une position idéale, puisque je peux aller dans toutes les directions...