Le chef du Département de chirurgie du CHUV met également l’accent, à côté de sa pratique opératoire, sur la recherche, fondamentale et clinique, pour améliorer la prise en charge en ORL. Rencontre.
A l’arrivée de Christian Simon à Lausanne, en 2012, la recherche en otorhinolaryngologie au CHUV ressemblait à une morne plaine : « Il y avait peu de recherche clinique, mis à part les travaux sur la sténose sous-glottique du professeur Philippe Monnier. Et peu ou prou de financements. » Or c’est précisément pour cela que le chirurgien cervico-facial, en provenance d’Heidelberg en Allemagne, a été engagé : développer l’activité académique en ORL, « pas seulement pour moi, mais en créant des conditions favorables pour tout le service ».
Il faut dire que le natif du Würzburg, dans le sud de l’Allemagne, a toujours envisagé son métier comme un ping-pong entre la clinique et la recherche : après des études à Hambourg, il part pour le Texas et le MD Anderson Cancer Center, où il fait ses armes, pendant deux ans, en biologie moléculaire, travaillant sur les mécanismes d’invasion par les cellules cancéreuses. « En ORL, j’ai opté pour la chirurgie cervico-faciale : or, dans ce domaine, 80% de l’activité concerne l’oncologie, les tumeurs de la cavité buccale, du pharynx, du larynx, de la parotide, etc., explique Christian Simon. Je crois en l’innovation ; mais afin de renouveler notre approche thérapeutique, il faut déjà établir la biologie de base, voir ce qu’il se passe au niveau fondamental lors d’une récidive tumorale. »
Avant d’atterrir au CHUV, Christian Simon partage son temps entre l’Allemagne et les Etats-Unis, où il perfectionne son bagage chirurgical. Aujourd’hui, il cumule les casquettes de chef du Département de chirurgie, chef du Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, et encore de responsable du Centre d’excellence tête et cou, en oncologie. Il est professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’UNIL.
Connaître son ennemi
Quant à la recherche en ORL, elle s’est beaucoup développée sous son impulsion. En cancérologie cervico-faciale, le laboratoire dirigé par Genrich Tolstonog à Agora, et fondé en 2013, travaille sur les mécanismes à la base d’une récidive : « En anglais, on parle de clonal evolution of recurrence, autrement dit, quel clone, dans une tumeur primaire, va avoir tendance à " repousser ", quel type de cellule est susceptible d’être à l’origine d’une récidive », détaille Christian Simon. Ces recherches ont déjà donné lieu à plusieurs publications, notamment dans Cell Reports. « A ce stade, ce sont plutôt les populations cellulaires à la périphérie de la tumeur qui sont mises en cause : elle représente un pourcentage très bas, autour de 1%, dans la tumeur primaire, mais on les retrouve à hauteur de 20% dans la récidive ! Ce sont des cellules souvent très agressives, et moins sensibles à la radiothérapie », avance encore le professeur.
Un second axe de recherche, également fondamental, s’intéresse aux voies de signalisation des récepteurs à androgènes, hormones qui jouent un rôle central dans la différenciation sexuelle ; c’est le professeur Gian-Paolo Dotto, officiellement à la retraite, qui mène ces études. Une sommité de la discipline, qui dirige d’ailleurs un autre laboratoire au Massachusetts General Hospital, à Boston. « Ces travaux cherchent à élucider le rôle des récepteurs d’androgènes – ou « AR » - dans le développement des cancers, relève Christian Simon. C’est une recherche d’oncologie globale, qui va bien au-delà de la sphère ORL, même s’il y a un impact important des AR dans les tumeurs des glandes salivaires. » Ces travaux, qui ont déjà eu les honneurs de Nature Communications, se focalisent sur le dimorphisme sexuel, soit les différences entre hommes et femmes, des cancers en lien avec les AR.
IA et robots
Vient ensuite la recherche clinique en oncologie cervico-faciale : cette fois, c’est Christian Simon lui-même qui joue les chefs d’orchestre. « Les médicaments, c’est le domaine des oncologues, la radiothérapie, des radiooncologues. En tant que chirurgien, mon périmètre d’investigation, ce sont les medtech, les technologies chirurgicales : autrement dit, quand la machine permet d’améliorer la prise en charge. » Cela soit en réduisant les dommages collatéraux de la chirurgie, soit en affinant le diagnostic et le pronostic.
Dans le domaine robotique, il développe des nouvelles approches chirurgicales mini-invasives avec le fabricant Intuitive Surgical. L'étude est actuellement en phase II. L’idée sous-jacente est de réduire la morbidité de la chirurgie, en remplaçant tendanciellement la chirurgie ouverte par la chirurgie robotique, moins invasive. Par ailleurs, Christian Simon est le principal investigateur d’une vaste étude européenne visant à comparer, dans les cancers ORL précoces, les résultats respectifs du « best of » de la radiothérapie et du « best of » de la chirurgie mini-invasive.
Après les robots, l’intelligence artificielle (IA) : en collaboration avec le professeur Jean-Louis Raisaro, du Centre de la science des données biomédicales CHUV-FBM, il met en place une base contenant toutes les données du service sur les cancers cervico-faciaux récidivants. Une IA, entraînée par machine learning, permettra d’interroger cette base de données afin d’identifier la meilleure approche thérapeutique en cas de récidive. Mobilisant également l’IA, les scientifiques du CHUV et de l’UNIL mettent au point une méthode de détection des cellules cancéreuses grâce à l’imagerie hyperspectrale.
Suivre la tumeur à la trace
C’est enfin du côté de l’EPFL que s’est tourné Christian Simon pour un projet d’endoscopie miniaturisée : « Pour faire une endoscopie, on a toujours besoin d’une cavité, que cela soit l’intestin grêle, l’estomac ou l’œsophage, note le chirurgien. Or les ingénieurs de l’EPFL sont parvenus à réduire le diamètre de l’endoscope de manière à pouvoir le glisser dans une aiguille, afin de traverser des tissus, de ponctionner un ganglion à la recherche de cellules cancéreuses – autrement dit, c’est l’aiguille qui devient la cavité. »
Mobilisant ces capacités d’imagerie et de détection, un projet soutenu par un fonds Sinergia, impliquant les trois partenaires UNIL, CHUV et EPFL, vise à mieux comprendre la progression dans la sphère ORL des ganglions métastatiques : « On s’est rendu compte qu’il y avait un changement dans l’architecture moléculaire des ganglions avant l’invasion des cellules cancéreuses : en effet, la tumeur envoie toutes sortes de messages – protéines, facteurs de croissance, etc. – et c’est comme si les ganglions, prévenus, se préparaient à accueillir les métastases, en mettant en place des conditions favorables. » En d’autres termes, c’est comme si la tumeur piratait la ligne, prenait son téléphone et appelait à l’avance pour annoncer son arrivée. « Notre idée, c’est de prévoir la progression de la maladie, d’identifier les micro-métastases. Or celles-ci sont constituées de 10-15 cellules, impossibles à détecter au scanner. Mais si on peut visualiser le changement d’architecture moléculaire du ganglion – et c’est là-dessus que nous concentrons nos efforts -, nous pourrons intervenir. »
Voilà le leitmotiv de Christian Simon : « Avec les medtech, notre objectif est d’obtenir une plus grande sensibilité dans la détection de la maladie. En particulier avec des outils qui nous permettent de mieux voir les marges, c’est-à-dire là où la tumeur est en contact avec les tissus sains. »
Une recherche bien lancée
Christian Simon va plus loin, et projette la création d’un groupe de recherche translationnel entre le CHUV, l’UNIL et l’EPFL, avec le professeur Dominique Pioletti de l’EPFL, afin de rapprocher chirurgiens et ingénieurs : « Il faut que ces derniers aient accès à toutes nos données, nos résultats de recherche, qu’on ait tous le même niveau de connaissance. De cette façon, quand un chirurgien viendra avec un problème, les ingénieurs seront plus à même de développer une solution, qui débouchera sur des essais cliniques. » Pour l’instant ce projet, qui a le soutien des instances du CHUV, de l’EFPL et de la FBM, ne concerne que l’ORL : « Mais ma vision, c’est de monter un "Centre d’ingénierie chirurgicale" intégrant d’autres spécialités, comme l’orthopédie, la chirurgie viscérale, l’anesthésie, etc. »
Christian Simon cite encore d’autres axes de recherche en ORL, comme celui, dans les voies aériennes, du Dr Kishore Sandu sur la trachéomalacie, ou les travaux du professeur Martin Broome en chirurgie maxillo-faciale.
« En tout, en une douzaine d’année, nous avons obtenu des financements à hauteur de 15,5 millions de francs de la part d’organismes comme le FNS, Innosuisse, la Fondation Recherche suisse contre la cancer, NIH, EORTC, d’entreprises comme Roche ou Novartis, et d’instruments de financement comme Tandem, se réjouit Christian Simon. 15,5 millions pour tout le service d’ORL, et 5,3 millions uniquement pour la recherche clinique. » Pour le chirurgien, la mission est remplie : la recherche est désormais bien sur les rails en ORL !