Dans une étude publiée dans la revue «PLOS Biology», des scientifiques du Département de microbiologie fondamentale de l’UNIL et du NCCR Microbiomes sont parvenus à reprogrammer une bactérie qui peut désormais détecter une molécule spécifique dans l’intestin d’une abeille et produire en réponse une protéine fluorescente observable au microscope.
L’ensemble des microorganismes présents dans l’intestin, appelé le microbiote intestinal, joue un rôle clé dans notre développement et notre santé. Comprendre les interactions entre ces microorganismes et leurs hôtes n’est pas aisé, car l’environnement intestinal est complexe et surtout difficilement accessible. Pouvoir l’étudier de manière non invasive afin de détecter et mesurer la myriade d’informations moléculaires qui s’y trouve demeure un vrai défi.
Une équipe de chercheur·euse·s codirigée par Yolanda Schaerli et son collègue Philipp Engel, tous deux professeur·e·s associé·e·s au Département de microbiologie fondamentale (DMF) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, ont surmonté ce problème en reprogrammant génétiquement des bactéries naturellement présentes dans l’intestin pour agir comme des biocapteurs in situ.
Un microbiote simple mais précieux
Comparé au microbiote intestinal humain, très complexe de par sa diversité, celui de l'abeille mellifère est relativement simple, car il ne comprend que très peu d’espèces bactériennes. Il n’en demeure pas moins vital pour la santé de l’apidé, ce qui en fait un système modèle prometteur pour l’étude des interactions entre le microbiote intestinal et son hôte. «Alors que l’abeille représente une espèce pollinisatrice essentielle pour les écosystèmes naturels et l'agriculture, sa population connaît un déclin dramatique depuis plusieurs années en raison notamment d’une augmentation du nombre de virus et de parasites, et d’une utilisation déraisonnée de pesticides, alerte Philipp Engel. Il est de ce fait capital d’en apprendre davantage sur les interactions complexes entre hôtes et microbiotes.»
Les biocapteurs bactériens auraient pu s’avérer d’une grande aide dans cette tâche, mais le manque de méthodes pour échantillonner de manière non invasive le contenu de l'intestin des abeilles, ainsi que le peu d’outils génétiques à disposition pour modifier les bactéries intestinales, ont jusqu'à présent été un frein à leur développement.
Une colonisation stable de l’intestin
Dans une étude publiée dans l’édition du 5 mars 2024 de la revue PLOS Biology, les scientifiques lausannois ont construit, dans le cadre du NCCR Microbiomes, une boîte à outils moléculaire polyvalente pour modifier génétiquement les symbiotes de l’abeille. Ils sont ainsi parvenus à développer pour la première fois chez cet insecte une technique d'échantillonnage de ses fèces. «Nous avons reprogrammé génétiquement une bactérie indigène de l'intestin de l'abeille, Snodgrassella alvi, pour en faire un biocapteur d’un dérivé synthétique de sucre (IPTG)», détaille Yolanda Schaerli, codirectrice de l’étude. Les abeilles ont ensuite été nourries en laboratoire avec ces bactéries modifiées. «Nous avons observé que ces dernières étaient capables de coloniser de manière stable l'intestin. On les retrouve dans la matière fécale des individus colonisés. La présence de l’IPTG ajouté à la nourriture des abeilles est signalée via l'expression d'une protéine fluorescente que l’on peut observer au microscope», rapporte le DrSc. Audam Chhun, postdoctorant dans l’équipe de la Pre Schaerli et premier auteur de l’article. La lecture de la fluorescence peut être mesurée non seulement de manière non invasive dans les fèces, mais également directement dans les tissus intestinaux.
Adresser d’autres questions
Cette preuve de principe démontre le potentiel de reprogrammation génétique des bactéries intestinales de l’abeille comme outils diagnostiques. «Ceux-ci pourront, dans le futur, être potentiellement modifiés pour détecter d’autres signaux, tels que des pesticides, virus et parasites et ainsi aider à répondre à des questions fondamentales dans la recherche sur le microbiote de l'hôte et sur la santé des abeilles», conclut Yolanda Schaerli.