Ludovic Iberg a soutenu sa thèse de doctorat, offrant un éclairage captivant sur les coulisses du pouvoir économique Suisse. Coup de projecteur.
Quel est le parcours qui vous a amené à réaliser une thèse de doctorat ?
J’ai réalisé mon master en sciences politiques à l’UNIL au sein de la toute première volée de l’orientation « histoire internationale ». Dans ce cadre, j’ai défendu mon mémoire de master en août 2017 sur la structuration du patronat suisse, en Faculté des Lettres. C’est donc logiquement que j’ai décidé de poursuivre dans la voie de la recherche sur le patronat, à la croisée des approches politiques et historiques, avec la directrice de mon orientation de master, Janick Schaufelbuehl.
Comment en êtes-vous venu à étudier ce sujet ?
Depuis le début de mon parcours académique, je me suis fortement intéressé aux aspects critiques de l’histoire, en particulier aux nombreux mythes qui entourent la recherche sur la Suisse. Il me semblait donc particulièrement pertinent de me focaliser sur des acteurs particulièrement puissants du paysage politique helvétique, les organisations patronales, ce d’autant plus que l’accès à leurs archives est relativement aisé.
Sur quoi porte votre thèse ?
Ma thèse se propose d’apporter un nouvel éclairage sur les relations entre la Suisse et l’Europe en se focalisant sur les rapports entre le grand patronat suisse et ses organisations sœurs sur le continent. Loin des récits mythologiques qui font de la Suisse un petit pays alpin impuissant face aux grandes puissances et s’accrochant coûte que coûte à sa neutralité, cette étude démontre que les organisations patronales helvétiques et les autorités fédérales ont joué un rôle proactif dans le concert des nations européennes. Leur politique conjointe s’est constamment attachée à maximiser les profits, la puissance économique ainsi que les capacités d’expansion des secteurs industriels de pointe sur les marchés étrangers. Ainsi, cette étude, qui repose avant tout sur les approches économiques, se propose de jeter une nouvelle lumière sur la politique européenne de la Suisse, axée sur les dynamiques capitalistes pour la période 1957-1984.
Quels ont été les apports de votre thèse ?
La réalisation des objectifs de la politique européenne suisse a impliqué de combattre l’intégration proposée par la Communauté économique européenne (CEE), car ce projet imposait notamment de renoncer à la souveraineté commerciale. Dans leur combat contre l’intégration proposée par la CEE, les milieux dirigeants suisses ont obtenu des succès probants jusqu’au milieu des années 1980.
De fait, je peux résumer les apports principaux de mon travail en trois points, qui éclairent certaines causes de ces succès.
Premièrement, la thèse permet de discuter de certains mythes solidement implantés dans l’historiographie suisse : le Sonderfall, l’importance de la démocratie directe, l’influence cardinale de la neutralité, ou encore la faiblesse économique de la Suisse et de son État central. Le thème choisi (la politique européenne) est central dans l’histoire suisse du XXe siècle, mais souvent rendu confus par des approches qui s’appuient sur une histoire politique au sens trop strict. Le fait de l’éclairer par une approche économique donne un coup de projecteur sur les coulisses de la politique européenne suisse.
Deuxièmement, ces succès ont été conditionnés au maintien du bloc bourgeois domestique. L’étude met en lumière l’importance fondamentale de l’unité interne des organisations patronales afin d’obtenir un poids politique auprès des autorités, mais aussi des sacrifices nécessaires auprès d’autres groupes politiques (agriculture, couches moyennes, artisanat, marché domestique). Dès lors, ce travail est une contribution à l’étude du bloc bourgeois en Suisse, notamment par sa mise en lumière des structures internes du patronat et de la discipline interne requise, mais aussi du rôle clé de ce groupe social dans la politique extérieure du pays.
Troisièmement, les succès helvétiques en matière de politique européenne doivent également être attribués à la perpétuation de l’alliance de longue date avec les milieux dirigeants ouest-allemands, qui constituent l’une des forces motrices de l’intégration européenne. Le travail rend donc compte des différents jeux d’échelle entre le niveau national et supranational, sectoriel et cantonal, ou encore diplomatique et patronal, qui sont mobilisés par les acteurs afin de favoriser leurs intérêts dans le cadre de la politique européenne.
Quel a été votre expérience de thèse ?
Dans l’ensemble, elle s’est avérée particulièrement positive, avec une grande liberté qui m’a été accordée dans la conduite de mes recherches et une bonne répartition entre le temps d’assistanat et le temps de travail personnel.