Chercheuse FNS Senior à l'Institut des sciences sociales (UNIL) et Coordinatrice de la plateforme en études genre (PlaGe), Fiona Friedli reçoit le Prix Brigitte Schnegg pour la qualité de sa thèse sur la régulation des relations familiales par le droit et la justice en Suisse.
Toutes nos félicitations pour l’obtention du Prix Brigitte Schnegg ! Qu’avez-vous éprouvé en recevant ce Prix ?
Ce prix créé en mémoire de la Professeure Brigitte Schnegg récompense des travaux scientifiques d’excellence qui contribuent aux changements politiques et sociaux, j’ai donc éprouvé un très grand honneur en apprenant que j’en étais la récipiendaire.
Présentez-nous brièvement le sujet de votre thèse, que vous avez réalisée à l'Institut d'études politiques (IEP).
Ma thèse porte sur la régulation des relations familiales par le droit et la justice en Suisse. Il s’agit d’une recherche qui combine des méthodes sociohistoriques, ethnographiques et statistiques, en analysant, d’une part, les transformations du droit de la famille entre 1907 et 2017 et, d’autre part, les pratiques de régulation des contentieux familiaux au sein de différentes autorités et offices judiciaires, de la première instance jusqu’au Tribunal fédéral.
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
La famille, en tant qu’institution, est constamment l’objet de luttes politiques. Les transformations de l’encadrement juridique des familles sont tributaires des rapports de force entre une pluralité d’acteurs opposés quant à leurs conceptions de la famille et les conséquences de ces luttes ont des effets bien réels sur les individus. Étant à la fois politologue et sociologue du droit, je trouve nécessaire d’étudier ces rapports de force tels qu’ils se jouent non seulement dans l’arène parlementaire, mais également dans l’arène judiciaire.
Quels sont les principaux résultats de votre travail ?
Une grande partie de ma thèse investigue les pratiques des juges en cas de divorce ou de séparation. J’y analyse la mise en œuvre d’un mode contemporain de régulation des dissociations conjugales fondé sur le principe de la préservation de l’intérêt de l’enfant associé à un certain idéal de coparentalité post-conjugale. Bien que le législateur ait édicté des règles qui attribuent aux parents les mêmes droits et devoirs en cas de séparation et les encouragent à pratiquer la garde alternée, je montre que cet idéal se heurte, dans la pratique à la réalité des relations inégalitaires entre les hommes et les femmes. Il ressort en effet de mes résultats que dans près de neuf cas sur dix, l’attribution de la garde n’est pas une question conflictuelle et que les parents choisissent très majoritairement, et conjointement, de confier les enfants à leur mère. Ce faisant, ces parents reproduisent l’organisation familiale qui prévalait avant la séparation et qui est elle-même le fait d’une division sexuée du travail productif et reproductif résultant en grande partie de la faiblesse des politiques familiales en Suisse.
Ce cas illustre le fait que modifier le droit ne suffit pas à faire changer les pratiques individuelles. Si l’objectif poursuivi est réellement celui de favoriser la coparentalité post-conjugale, il faudrait donner aux parents davantage de moyens pour partager les tâches et responsabilités parentales du temps de l’union conjugale, notamment par des mesures qui relèvent de la politique familiale. Le législateur semble cependant décidé à s’orienter vers un système contraignant à l’égard des couples séparés et divorcés pour imposer cet idéal de coparentalité post-conjugal. Un système qui contraint en réalité essentiellement le parent gardien, donc tendanciellement les mères, à qui ont fait porter la responsabilité de favoriser la présence et l’engagement du parent non-gardien auprès de l’enfant.
Comment envisagez-vous la suite de votre parcours professionnel ?
À l’heure actuelle, je poursuis ma carrière académique à l’Université de Lausanne, en mêlant des activités de recherche, d’enseignement et de coordination scientifique. Je travaille toujours sur la thématique du divorce, avec une focale davantage historique.
Je suis également active dans la coordination d’un Certificate of Advanced Studies (CAS) qui porte sur la thématique du genre et de l’égalité. Je trouve qu’il est très important de sensibiliser les professionnel·le·s à ces questions et de leur proposer des outils d’intervention.