Une équipe romande a découvert comment améliorer le pouvoir antitumoral des cellules CAR-T, des «super-cellules» immunitaires artificielles utilisées pour lutter contre les cancers du sang.
En immunothérapie, l’utilisation de cellules dites «CAR-T» s’avère extrêmement efficace contre certains cancers du sang, mais chez la moitié des patient·e·s seulement. En cause notamment, le rapide dysfonctionnement de ces cellules immunitaires modifiées artificiellement en laboratoire. Une équipe des universités de Genève (UNIGE), de Lausanne (UNIL), des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), sous l’égide du Swiss Cancer Center Léman (SCCL), a découvert comment prolonger leur fonctionnalité. En inhibant un mécanisme métabolique très particulier, elle a créé des CAR-T à la mémoire immunitaire renforcée, capables de lutter contre les cellules tumorales beaucoup plus longtemps. Des résultats très prometteurs, à lire dans la revue Nature.
L’immunothérapie par cellules «CAR-T» consiste à prélever des cellules immunitaires – en général des lymphocytes T — chez une personne souffrant de cancer, à les modifier en laboratoire afin d’augmenter leur capacité à reconnaître et combattre les cellules tumorales, puis à les réinjecter. Cependant, comme pour d’autres types d’immunothérapies, de nombreux/euses malades ne répondent pas au traitement ou rechutent.
«Les cellules CAR-T doivent être massivement multipliées avant d’être administrées», explique Mathias Wenes, maître-assistant dans le laboratoire du professeur Denis Migliorini au Département de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux. «Mais l’histoire médicale des patient·e·s combinée à ce processus d’amplification épuise les cellules: elles atteignent un état de différenciation terminale qui précipite la fin de leur cycle de vie sans leur laisser le temps d’agir sur la longueur.»
Un mécanisme commun aux cellules cancéreuses et immunitaires
En manque d’oxygène, les cellules cancéreuses ont recours à un mécanisme de survie très particulier: elles métabolisent de la glutamine, un acide aminé, comme source alternative d’énergie grâce à une réaction chimique nommée «carboxylation réductrice». «Or, les cellules immunitaires et les cellules cancéreuses ont un métabolisme assez semblable qui leur permet notamment de proliférer très rapidement. Nous avons découvert que les lymphocytes T utilisent aussi ce mécanisme», indique Alison Jaccard, doctorante au sein du laboratoire du professeur Ping-Chih Ho au Département d’oncologie UNIL-CHUV, première auteure de cette étude.
Pour décrypter le rôle de ce mécanisme, les scientifiques l’ont inhibé dans des cellules CAR-T chez la souris, dans des modèles de la leucémie et de myélome multiple, deux cancers du sang. «Nos cellules CAR-T modifiées se multipliaient normalement et ne perdaient pas leur capacité d’attaque, indiquant que la carboxylation réductrice ne leur est pas indispensable», résume Mathias Wenes.
Des souris guéries grâce à ces CAR-T
De plus, les souris ainsi traitées ont été quasiment guéries de leur cancer, un résultat bien au-delà des espérances de l’équipe de recherche. «Sans carboxylation réductrice, les cellules ne se différencient plus autant et conservent leur fonction antitumorale plus longtemps. Et même - et c’est là le cœur de notre découverte - elles ont tendance à se transformer en lymphocytes T à mémoire, un type de cellules immunitaires qui conserve la mémoire des éléments tumoraux à combattre.»
Les lymphocytes T à mémoire jouent un rôle clé dans la réponse immunitaire secondaire. En effet, ils conservent la mémoire des pathogènes précédemment rencontrés et peuvent se réactiver lorsque ceux-ci réapparaissent — comme dans le cas d’un virus, mais aussi lorsqu’il s’agit de pathogènes tumoraux — assurant une protection immunitaire bien plus durable. «Ce même principe se retrouve chez les cellules CAR-T: plus le nombre de cellules à mémoire est élevé, plus la réponse antitumorale est efficace et le résultat clinique favorable. L’état de différenciation des cellules CAR-T constitue donc un élément clé de la réussite du traitement.»
Dialogue entre le métabolisme et l’expression des gènes
Déplié, l’ADN contenu dans chacune de nos cellules mesurerait environ deux mètres de long. Pour tenir dans le minuscule noyau cellulaire, il est condensé autour de protéines appelées histones. Pour que la transcription des gènes puisse avoir lieu, des régions spécifiques de l’ADN doivent se déplier, ce qui se produit en modifiant les histones. Lorsque les cellules T sont activées, les histones subissent des modifications qui, d’une part, condensent l’ADN et empêchent la transcription des gènes assurant la longévité et, d’autre part, s’ouvrent et permettent la transcription des gènes assurant leur fonction inflammatoire et de destruction. La carboxylation réductrice agit directement sur la génération de métabolites, de petits éléments chimiques qui modifient les histones, pour influencer l’empaquetage de l’ADN et empêcher l’accessibilité aux gènes de longévité. Son inhibition maintient l’ouverture de ces gènes et favorise leur transformation en CAR-T à longue durée de vie.
Bientôt une application clinique?
L’inhibiteur utilisé par les scientifiques pour inhiber la carboxylation réductrice est un médicament déjà approuvé dans le traitement de certains cancers. «Nous proposons ainsi de le repositionner pour en élargir l’usage et produire in vitro des cellules CART plus puissantes. Bien entendu, leur efficacité et leur sûreté doivent être testées dans des essais cliniques, mais nous avons de très bons espoirs!», concluent les auteur-es.
Un exemple de ce que le Swiss Cancer Center Léman peut réaliser
Ce travail au potentiel d’application important n’aurait jamais été possible sans le réseau mis en place par le SCCL. En effet, des laboratoires de pas moins de quatre instituts lémaniques ont uni leurs forces pour mener à bien ce projet impactant: UNIL, CHUV, UNIGE et HUG. L’alliance entre ces institutions favorise les collaborations entre groupes qui permettent des synergies dans des domaines complémentaires (métabolisme tumoral, onco-immunologie, ingénierie des cellules immunitaires).