Sylvain Maechler (CRHIM) a soutenu ce printemps sa thèse de doctorat: “Accounting for Nature: Risk, Uncertainty, and the Global Political Economy of the Ecological Crisis". Coup de projecteur.
Qu'est-ce qui vous a amené à entreprendre une thèse de doctorat ?
L’idée de poursuivre des recherches doctorales s’est construite tout au long de mes études universitaires, dont les moments les plus intéressants sur le plan intellectuel auront été ceux dédiés successivement à la rédaction de mon travail de Bachelor, puis de Master. Durant mon année de travail hors du monde universitaire à la suite de mon Master, cette idée est devenue de plus en plus persistante. J’ai alors commencé à postuler à des offres de doctorat, avant d’être engagé à l’IEP comme assistant diplômé par Jean-Christophe Graz.
Comment en êtes-vous venu à étudier ce sujet ?
C’est en travaillant comme expert en économie environnementale dans une ONG après mon Master que l’idée de mon sujet de thèse m’est venue. J’ai alors été amené à côtoyer diverses organisations et personnes engagées dans le projet de « comptabilité de la nature », projet visant, de façon caricaturale, à comptabiliser (économiquement) la nature pour la sauver. Les promesses de ce projet me semblaient trop belles pour être vraies, ce qui m’a poussé à m’y intéresser, jusqu’à réaliser une thèse de doctorat sur le sujet.
Sur quoi porte votre thèse ?
Ma thèse examine comment une variété d’acteurs internationaux ont tenté d’inclure la nature dans la comptabilité afin de répondre aux défis de la crise écologique depuis les années 1980 jusqu’à nos jours. Pour ce faire, je me suis penché sur de nombreux documents, j’ai mené des entretiens avec des personnes impliquées aujourd’hui et dans le passé dans les développements de cette comptabilité, et j’ai également réalisé des observations ethnographiques à la fois en ligne et en personne lors d’une multitude d’événements traitant du sujet. Au fil de mes recherches, je me suis de plus en plus penché sur les blocages politiques, institutionnels, et pratiques à cette comptabilité de la nature qui, bien qu’elle soit l’objet de discussions presque incessantes depuis désormais trente ans dans le cadre de la gouvernance globale de l’environnement, n’a jamais été mise en œuvre dans sa forme ou à l’échelle promise.
Quel a été l’apport de votre recherche ?
Ma thèse montre premièrement les difficultés d’inclure la nature dans une logique marchande, économique, et financière, processus qui permettrait éventuellement au capitalisme de faire face à la crise écologique, tel qu’envisagé plus largement par les notions de « développement durable » ou « d’économie verte ».
Une deuxième contribution est de montrer que la comptabilité de la nature est une pratique complexe à mettre en œuvre, qui nécessite un grand nombre de données et de capacités de collecte systématique de ces dernières, bien supérieures par exemple à la comptabilité traditionnelle comme le Produit Intérieur Brut (PIB). Il semble ainsi peu envisageable que cette solution à la crise écologique soit mise en œuvre dans un avenir proche, à défaut d’une large simplification de cette comptabilité et d’un réductivisme dangereux des enjeux environnementaux, comme cela semble néanmoins être le cas de certains projets récents.
Une troisième contribution est de montrer pourquoi, alors que les tentatives successives se sont toujours soldées par des échecs par rapport à ce qui était initialement promis, la comptabilité de la nature reste une idée centrale dans les débats environnementaux. Ma thèse montre qu’un système de discours et de connaissances entretenu par une diversité d’acteurs internationaux (petits et grands consultants privés, une variété d’experts, des entreprises, des organisations internationales, et certains États) a fait, au fil des années, de la comptabilité de la nature la solution incontournable et absolument nécessaire pour faire face à la crise écologique.
Finalement, une quatrième contribution est de mettre à jour les effets concrets de la comptabilité de la nature, qui restent importants malgré les échecs auxquels elle est confrontée. Je soutiens que le système de discours et de connaissance qui la sous-tend a pour effet d’empêcher d’imaginer, de penser, et d’identifier d’autres solutions à la crise écologique que celles passant par le marché, par la rationalité économique et financière, et maintient finalement une forme de statu quo des politiques environnementales.
Pour conclure, quelle a été votre expérience de thèse ?
J’ai réalisé une thèse qui sort quelque peu des pratiques usuelles de l’IEP, à savoir une thèse dite « par articles ». Ce format fait vivre différemment les « temps de la thèse », puisque l’on est largement dépendant de l’agenda des revues académiques dans lesquelles les articles sont soumis, des refus, des demandes de révisions et des échéances de re-soumission, ce qui nécessite de se remobiliser en permanence. Bien qu’un tel format représente de nombreux défis, j’ai eu la chance d’être très bien accompagné dans ce processus à la fois par mon directeur et ma co-directrice de thèse, mais aussi par de nombreuses et nombreux autres membres de mon unité de recherche, le CRHIM, qui ont tout au long de la thèse été d’un grand soutien à la fois sur le plan scientifique et moral.