Forte d’une collection de plus de 70'000 livres et objets liée surtout à l’histoire de la médecine, la Bibliothèque de l’Institut des humanités en médecine renferme un trésor patrimonial, tout en étant un formidable outil de recherche. Rencontre avec sa directrice, Magdalena Czartoryjska Meier.
Elle ne paie pas de mine, installée dans ses locaux de l’avenue de Provence, quasi à équidistance de ses deux maisons-mères, le CHUV et l’UNIL. Et pourtant, la Bibliothèque de l’Institut des humanités en médecine (BIHM) est un outil unique en Suisse. Quelques chiffres : elle compte 50'000 titres au catalogue, dont plusieurs ouvrages d’une grande rareté. Par exemple le Thesaurus anatomicus de Frederik Ruysch, imprimé à Amsterdam en 1701 (voir galerie de photos). Ou, doyenne de la collection, une édition d’Avicenne de 1522. En plus de cela, 15'000 imprimés attendent encore d’être catalogués.
A côté des ouvrages, la BIHM conserve également près de 6'000 objets médicaux, y compris des photos. Tous ces objets sont des témoins de l’histoire de la médecine et de la santé en général. Citons, parmi les plus prestigieux, une riche collection de moulages dermatologiques en cire et la machine cœur-poumon du professeur Livio, présentée à l’Exposition nationale de 1964.
« En tout, cela fait plus de 70'000 items, dont une partie attend encore d’être inventoriée. C’est toujours un work in progress », souligne Magdalena Czartoryjska Meier, responsable de la bibliothèque.
Des planches aux rayonnages
Celle-ci est depuis six ans à la tête de l’institution, après un parcours peu conventionnel : comédienne et metteuse en scène de théâtre en Pologne et en Suisse, elle a choisi de se reconvertir. « Dans mon pays d’origine, le théâtre c’est une mission, un idéal. Un grand homme de théâtre, Juliusz Osterwa, disait d’ailleurs qu’en Pologne, le théâtre s’adresse à ceux qui ne trouvent pas leur compte dans la religion. Or je n’ai pas retrouvé cet esprit en Suisse romande, sans doute héritière d’une autre tradition. »
Elle se tourne donc vers la bibliothèque, où elle retrouve cet esprit missionnaire : culture et transmission du savoir. Après une première expérience au CHUV, elle rejoint l’Institut suisse de droit comparé, puis les Archives suisses de la danse (devenues la SAPA en 2017) à Lausanne, avant de prendre ses quartiers à l’avenue de Provence.
Elle en fait un vrai sacerdoce, multipliant les chantiers et les projets. « On peut distinguer trois missions-clés pour la BIHM : primo, servir la recherche ; deuzio, assurer la conservation d’ouvrages et d’objets ; tertio, communiquer vers le public, valoriser notre fonds. » Trois missions, et aussi trois pans dans la collection de la bibliothèque : « Il y a d’abord les livres anciens : nous possédons quelque 9'000 volumes antérieurs à 1901. Ensuite, il y a les fonds historiques, des ensembles d’ouvrages proposés par des médecins ou des institutions. »
D’ailleurs, à sa fondation en 1988, la bibliothèque, adossée à l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique (devenu Institut des humanités en médecine en 2018), s’est développée essentiellement à partir de dons. C’est comme si la création de l’Institut, et la volonté de son premier directeur Guy Saudan de mettre l’accent sur la collection de livres et d’objets médicaux, comblaient un vide : « La bibliothèque a par exemple reçu en 1991 le fonds Henri Stilling, particulièrement riche. Or Henri Stilling est mort en 1911, léguant sa bibliothèque par testament à un hypothétique futur Institut d’histoire de la médecine. Entreposée d’abord à l’Institut de pathologie, puis à la Bibliothèque cantonale et universitaire, elle nous est parvenue en 1991 », relève Magdalena Czartoryjska Meier.
Conservation et recherche
Les débuts de la bibliothèque, la mise en place du projet, restent assez flous. « Mais on peut supposer qu’au départ, il n’y a pas vraiment eu de réflexion quant à l’envergure du projet, ou alors son développement a dépassé la conception initiale. Les choses se sont faites un peu à tâtons, dans l’urgence aussi. » Par exemple, la classification choisie à l’époque n’est plus adaptée à la taille de la collection actuelle. Quant à la décision de garder l’unité matérielle de certaines donations, elle n’a été prise qu’à la réception du fonds Stilling. « En 2023, on a même découvert qu’on possédait la bibliothèque de César Roux, après qu’elle a été dispersée sur nos rayonnages », se remémore Magdalena Czartoryjska Meier.
Après les livres anciens et les fonds historiques, le troisième pan de la collection est constitué par le fonds contemporain. Le pan « vivant » si l’on veut, alimenté régulièrement par les dernières parutions dans les domaines de compétences et d’intérêts de l’Institut : histoire de la médecine et de la santé publique, sciences sociales, philosophie et éthique de la médecine, ainsi que droit de la santé et enfin médecine et art. Soit 500 à 700 nouveaux titres par an.
« Nous avons des objets et des ouvrages anciens prestigieux, mais la BIHM ne se limite pas à cela », insiste Magdalena Czartoryjska Meier, soucieuse de « dépoussiérer » un peu l’image de la bibliothèque. Depuis son arrivée en 2017, elle et son équipe ont mis énormément d’énergie dans la valorisation des collections, particulièrement dans l’espace numérique : lancement d’un site web en 2020, implémentation d’une base des données pour les collections d’objets, jusque-là invisibles au public, ouverture de comptes Instagram et Facebook dans la foulée…
En 2017, la BIHM a participé au 3e Hackaton culturel suisse qui s’est tenu à Lausanne, conduisant au lancement de l’application BIHM books x objects : celle-ci met en lien un objet médical ancien de la collection avec plusieurs ouvrages. « Avec 70 objets et 6 livres par objet, cela reste modeste mais c’est une petite vitrine ». En 2021, grâce au financement accordé par la FBM, la BIHM a commencé à travailler à son nouveau projet, le BIHM Collection Explorer : ce nouvel outil, prévu pour la rentrée d’automne, permettra de naviguer, selon des modalités très innovantes, dans la totalité des collections, objets et livres inclus.
Travail de fourmi
Mais si l’espace numérique est – virtuellement – infini, ce n’est pas le cas des locaux de Provence : comme toutes les bibliothèques, la BIHM fait face à une problématique de place. « En parallèle à nos projets, nous œuvrons en continu à la consolidation des collections : il s’agit de réévaluer certaines parties des collections, d’identifier les livres hors-sujet et de chasser les doublons. »
Autre problématique, également typique du monde des bibliothèque, la petitesse des équipes : « Il nous faut sans cesse pallier l’insuffisance des moyens. Or la curation est un travail très chronophage, et c’est un message que nous avons du mal à faire passer à nos décideurs. »
Sans compter que l’équipe de la BIHM est aussi active sur le front des expositions : en collaboration avec d’autres institutions, mais aussi dans ses locaux, où elle travaille notamment avec des artistes contemporains.
En sus, la BIHM participe à un groupe de travail informel qui réunit les institutions, à Lausanne, Zurich, Berne et Bâle, abritant des collections historiques de médecine. Et elle travaille étroitement avec le réseau des bibliothèques Renouvaud, dont elle fait partie, ainsi qu’avec la Swiss Library Service Platform (SLSP) qui rassemble 475 bibliothèques universitaires et scientifiques suisses.
Enfin, quid des relations avec la BiUM, la Bibliothèque universitaire de médecine, sise sur la Cité hospitalière ? « Nous avions déjà beaucoup d’interactions sous l’ère Isabelle de Kaenel (ndlr : qui a pris sa retraite à la fin 2022), et nous avons déjà rencontré le nouveau directeur, Patrick Furrer, à plusieurs reprises : nous avons le souhait réciproque de renforcer nos liens et de développer des projets en commun. »