Une étude pilotée par le Pr Mehdi Tafti et publiée dans PNAS bouscule les connaissances sur cette affection, considérée incurable, et pourrait conduire à un traitement.
L'orexine (appelée aussi hypocrétine, ou HCRT) est l'un des neurotransmetteurs les plus polyvalents du cerveau. Il joue un rôle dans la motivation, le métabolisme énergétique et les rythmes de veille et de sommeil. L'absence de HCRT entraîne une profonde désorganisation des états de vigilance, une difficulté à rester éveillé pendant la journée et à s'endormir la nuit, ainsi qu'une paralysie soudaine (perte de tonus musculaire) dans les moments d'excitation émotionnelle intense. On parle dans ce dernier cas de narcolepsie avec cataplexie. La maladie apparaît pendant l'enfance ou au début de l'âge adulte : elle est encore incurable.
On pense généralement que le déficit en HCRT résulte d'une neurodégénérescence des quelques milliers de cellules nerveuses situées au centre du cerveau, dans l'hypothalamus, et qui produisent ce peptide. Une équipe dirigée par Mehdi Tafti, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l'UNIL, a émis et testé une nouvelle hypothèse audacieuse : et si la carence en HCRT n'était pas due à la mort des cellules, mais au fait que le marqueur que nous utilisons pour les détecter est réduit au silence ? Autrement dit, et si le gène HCRT était silencieux mais les neurones étaient néanmoins bien présents ?
C'est ce que tente de démontrer un article publié dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), dont Ali Seifinejad, chercheur associé dans le groupe du Pr Tafti, est le premier auteur. En analysant des tissus cérébraux post mortem de patients, les chercheurs sont parvenus à identifier un nouveau marqueur des neurones HCRT, un neuropeptide appelé QRFP, et à montrer qu’il était toujours exprimé. De plus, les scientifiques ont découvert un mécanisme qui expliquerait que le gène HCRT soit réduit au silence : ils ont constaté, toujours à partir de tissus cérébraux post mortem de patients atteints de narcolepsie, que le promoteur ADN du gène HCRT était hyperméthylé, une modification connue pour réprimer l'expression des gènes.
Vers de nouvelles voies thérapeutiques ?
Les chercheurs ont également montré que la narcolepsie n'affecte pas exclusivement les neurones HCRT, mais que le même mécanisme affecte plusieurs autres gènes codant pour des neuropeptides, également exprimés dans l'hypothalamus et dont on pensait jusqu'ici qu'ils étaient perdus par la mort cellulaire.
« Si on vous diagnostique une narcolepsie, les spécialistes du sommeil vous diront que c'est pour la vie, que vous avez perdu ces cellules dans votre cerveau, explique Mehdi Tafti. Mais cette étude montre que les personnes atteintes de narcolepsie n'ont pas perdu ces neurones ; ces derniers ont en revanche cessé de produire le neuropeptide ! Nous sommes convaincus que les neurones sont toujours là », ajoute le professeur au Département des sciences biomédicales de la FBM.
Cette étude pourrait avoir de profondes ramifications pour les patients et l'industrie pharmaceutique : si les neurones HCRT ne sont pas morts, mais seulement réduits au silence, la découverte ouvre la voie à des thérapies visant à réactiver ces gènes silencieux, étant donné que la méthylation de l'ADN est réversible. La méthylation de l'ADN fait partie des mécanismes regroupés sous la bannière générique de l’épigénétique, et soupçonnés d'être impliqués dans d'autres maladies neurologiques. En d'autres termes, cette étude est porteuse d'espoirs pour les patients atteints de narcolepsie et pour la compréhension de plusieurs autres maladies neurodégénératives.