Les plantes disposent d’un système d’alerte performant en cas d’attaque, basé sur un mode de communication sophistiqué. Dans une étude parue dans la revue «Cell», le groupe du Pr Edward Farmer au Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL détaille le mécanisme de propagation du signal électrique essentiel à ce processus de défense.
Les feuilles sont extrêmement sensibles aux agressions. Lorsque l'une d’entre elles est endommagée par un herbivore, un insecte ou un parasite, elle réagit rapidement en envoyant des signaux électriques aux autres feuilles afin de les informer de son «état de santé». Ce procédé a pour but d'activer de manière coordonnée les réponses de protection de la plante. Plus précisément, les signaux électriques stimulent la synthèse d'une petite hormone de défense appelée «jasmonate», impliquée dans la régulation du système immunitaire et de la croissance du végétal.
Dans les secondes qui suivent la blessure, cette phytohormone s'accumule dans la feuille mangée ainsi que dans les autres feuilles. Les jasmonates vont alors freiner la croissance de la plante et déclencher la production d'un grand nombre de molécules de résistance sous forme de composés toxiques ou de protéines. Si la plupart de ces composés n'ont pas de fonction spécifique chez la plante, ils agissent comme des dissuasifs alimentaires - ils bloquent notamment la digestion des mammifères - ou comme des poisons pour les insectes. La découverte de ce moyen élaboré de communication électrique par le laboratoire d’Edward Farmer, professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature en 2013.
Un système de signalisation de feuille à feuille
Une question demeurait toutefois ouverte, à savoir comment ces signaux électriques voyagent et se propagent au travers du végétal. Afin d’apporter des éléments de réponse, les biologistes lausannois, en collaboration avec des scientifiques de l’Université de Neuchâtel, ont disposé des électrodes à la surface des feuilles de l’espèce modèle Arabidopsis thaliana (Arabette des dames). Ce dispositif leur a permis de mesurer l’activité électrique de la plante pendant qu'elle était attaquée par des insectes.
«Nous avons découvert que les cellules endommagées libèrent deux protéines-clés (nommées TGG1 et TGG2), qui sont ensuite transportées d'une feuille à l'autre. Au cours de leur long voyage dans les tissus végétaux, ces protéines catalysent la destruction d'un autre composé organique, le glucosinolate. Nous avons pu suivre la dégradation de cette molécule dans les nervures des feuilles en utilisant la spectrométrie de masse. À son tour, la dégradation des glucosinolates produit un petit composé très réactif, déclencheur du signal électrique», retrace le Pr Farmer, directeur de la nouvelle étude publiée le 3 mars 2023 dans le journal Cell.
Ces travaux résolvent ainsi en partie le mystère concernant le mode de signalisation de feuille à feuille. Sur la base de cette découverte, d'autres progrès dans la compréhension du mécanisme de signalisation électrique chez les plantes sont attendus.