LES RENCONTRES DE LA FBM: Julien Vionnet est responsable du suivi des patients candidats à une greffe ou greffés du foie au CHUV. A côté d’une clinique très prenante, il développe une recherche novatrice, portant notamment sur la diminution du recours aux médicaments antirejet. Portrait d’un jeune clinicien-chercheur.
« Il faut choisir entre la médecine des gros tuyaux et celle des petites cellules » : cette phrase, que Julien Vionnet doit à son superviseur à l’Hôpital de Monthey, l’a durablement marqué. Autrement dit, chaque jeune médecin doit choisir assez tôt entre une spécialité plutôt technique, comme les soins intensifs ou la chirurgie – « les gros tuyaux » -, et une spécialité plus « théorique », les « petites cellules » : « Je ne suis pas très manuel, la deuxième option allait de soi pour moi », explique le médecin de 40 ans. Cela allait de soi, mais avec un petit pincement quand même pour ce fils de dentiste.
Né en Valais, formé à Lausanne, Julien Vionnet est médecin associé au Centre de transplantation d’organes (CTO) et au Service de gastro-entérologie et d’hépatologie du CHUV. Il assure le suivi des patients candidats à une greffe ou transplantés du foie. Si la greffe du foie elle-même se fait à Genève, environ 60% des patients de la liste d’attente sont suivis à Lausanne.
Et pourtant, c’est presque un hasard si Julien Vionnet a atterri en transplantation : lui qui se destinait plutôt à l’immunologie et aux maladies inflammatoires systémiques, il a saisi une opportunité en 2012, une place vacante au CTO, sur le conseil du professeur Gérard Waeber. « Une carrière médicale n’est jamais définie dès le départ, mais il y a des moments-charnières. Personnellement, j’ai toujours été intéressé par la médecine académique : or la transplantation est une chasse gardée de la médecine hospitalo-universitaire, c’est de facto une discipline très académique », note le Valaisan, par ailleurs privat-docent et maître d’enseignement et de recherche clinique (MERclin) à la Faculté de biologie et de médecine (FBM).
Expérience anglaise
Julien Vionnet est comme un poisson dans l’eau au CTO ; il effectue en parallèle sa formation en immunologie clinique et allergologie, et décide de compléter son bagage par un séjour en Angleterre, au King’s College Hospital de Londres, dans le labo d’Alberto Sanchez-Fueyo, une des « rock-stars » de l’immunologie de la greffe hépatique. Mais, il faut de la « suite dans les idées », insiste-t-il : au terme d’un petit parcours du combattant administratif – il est toujours reconnaissant aux professeurs Manuel Pascual, Darius Moradpour et Giuseppe Pantaleo de l’avoir soutenu sans relâche –, il s’envole en 2018 pour Londres, avec son épouse, elle-même médecin endocrinologue et diabétologue, et leurs deux jeunes enfants. « Cela a été une expérience familiale et professionnelle incroyable. J’ai non seulement pu travailler quotidiennement dans un labo, mais j’ai surtout eu l’occasion de coordonner une grosse étude multicentrique, comptant douze centres en Europe, le LIFT, pour « Liver Immunosuppression Free Trial ». Manager une étude internationale de cette taille a été une opportunité unique qui m’a énormément apporté. »
Petit point de comparaison : le King’s College Hospital effectue 250 greffes hépatiques par an, c’est plus que la totalité des greffes réalisées en Suisse (150 par an).
Mais ce qui a attiré Julien Vionnet à Londres, c’est surtout l’approche audacieuse du professeur Sanchez-Fueyo, qui travaille sur l’arrêt des médicaments antirejet (d’où l’intitulé de l’étude, « Liver Immunosuppression Free Trial ») dans la greffe du foie. « Les antirejets sont connus pour avoir d’importants effets secondaires : au premier chef les infections, puisqu’ils interfèrent avec le système immunitaire, mais aussi des cancers, surtout de la peau, un risque cardio-vasculaire accru et une forte toxicité pour les reins. Ce sont des facteurs de morbidité et de mortalité pour les patients greffés. »
D’où ce paradoxe : la mortalité une année après une greffe hépatique n’est souvent pas liée au foie, mais à un cancer, une infection ou un accident cardio-vasculaire, pouvant être favorisés par l’immunosuppression.
Le foie, un organe atypique
L’angle d’attaque original du professeur Sanchez-Fueyo s’appuie sur les caractéristiques uniques du foie : « Le foie n’est pas un organe comme les autres de par ses propriétés « tolérogéniques » : on observe dans cet organe une tolérance spontanée, et non pas induite par des traitements, qui vient du fait que le foie crée un microenvironnement favorable à accepter une greffe, l’organe d’autrui. » Les études tendent à montrer que, dans une population sélectionnée de greffés du foie, 20% des patients supportent l’arrêt progressif des antirejets.
De retour en Suisse en 2021, et fort de son expérience britannique, Julien Vionnet veut aller plus loin, en infléchissant un peu la démarche : « Stopper complètement l’immunosuppression, cela fonctionne avec une partie des patients, mais si on veut toucher plus de personnes, avec en point de mire l’augmentation de la survie, il faut trouver autre chose, échafauder des stratégies pour non pas arrêter mais diminuer, ou minimiser le recours aux antirejets. »
Le médecin du CTO est dès lors en train de mettre sur pied une étude multicentrique, LIMIT (pour « Liver Immunosuppression Minimisation Trial »), avec l’aide de son mentor Alberto Sanchez-Fueyo. Tous les acteurs suisses de la transplantation sont inclus dans LIMIT, auxquels s’ajoute le King’s College Hospital. L’étude n’attend plus que le feu vert, et le financement, du FNS. Réponse en juin et, si elle est positive, lancement prévu en 2024.
Boom de l’activité de transplantation
En parallèle, Julien Vionnet pilote plusieurs études dans le cadre de la cohorte STCS (Swiss Transplant Cohort Study), portant notamment sur le risque immunologique et sur le risque cardio-vasculaire des patients transplantés ainsi que sur les hépatites auto-immunes. Il a par ailleurs décroché en 2022 un prix de la Société suisse de transplantation.
Hyperactif, le médecin-chercheur est aussi impliqué dans l’enseignement pré- et post-gradué, auquel il prend un « grand plaisir ». Mais la clinique lui prend l’essentiel de son temps. La faute aussi à une activité en forte augmentation : « Nous effectuions 15 bilans pré-greffe en 2012, nous approchons aujourd’hui les 50 bilans par an. Et le nombre de greffes suit la même courbe. » Une des causes est l’épidémie, relativement nouvelle, des NASH (pour non-alcoholic steatohepatitis), des formes particulièrement sévères de stéatoses hépatiques dont il faut chercher certaines origines dans notre mode de vie occidental, et non dans une consommation excessive d’alcool.
« La clinique, c’est impératif, on ne peut pas temporiser, il en va de la vie des patients, du fonctionnement d’un service, souligne Julien Vionnet. Alors que la recherche, si ça n’avance pas, cela n’implique finalement que moi. Dès lors, elle passe toujours en second. » Passionné, il glane du temps ici et là, y travaille le soir et les week-ends, et se prend à rêver d’un « temps protégé pour la recherche. »