Stéphanie Monay (CRAPUL) a soutenu cet automne sa thèse de doctorat sur la socialisation politique des femmes ayant intégré l’armée suisse. Coup de projecteur.
Comment en êtes-vous venue à réaliser une thèse de doctorat ?
Je suis arrivée par hasard en science politique, mais rapidement la sociologie politique et les études genre en particulier m’ont donné des outils pour comprendre à la fois la société et mes propres vécus. Durant mon Master, j’ai eu l’occasion d’effectuer des enquêtes de terrain et cela m’a particulièrement plu : avoir l’occasion d’échanger avec des personnes venant de milieux et avec des expériences différentes des miennes, se confronter à d’autres réalités… Après un mémoire portant sur une association lesbienne et l’expérience d’une recherche collective sur les syndicats en Suisse, je me suis orientée vers une institution bien différente, l’armée, mais avec des questionnements toujours imprégnés d’une perspective genre.
Comment en êtes-vous venu à étudier ce sujet ?
Les sociologues s’orientent souvent vers des objets pour lesquels elles et ils éprouvent une sympathie. C’est ce que j’ai fait durant mon parcours de formation. Pour ma thèse, je souhaitais m’intéresser à une grande institution suisse peu étudiée, et me poser un nouveau défi pour mon apprentissage de chercheuse en expérimentant un autre rapport à mon objet d’étude. De plus, l’Armée suisse était un lieu mystérieux pour moi car, en tant que femme, je ne suis pas « naturellement » conviée à réaliser un service militaire. Cette mise à l’écart a particulièrement stimulé ma libido sciendi.
Sur quoi porte votre thèse ?
Je me suis intéressée à l’engagement volontaire, et peu probable socialement, des femmes dans l’Armée suisse. Ma recherche explore comment les femmes, qui sont très minoritaires (env. 1% de l’effectif), s’approprient la culture militaire suisse et comment cette dernière participe à forger leur rapport politique au monde social. L’analyse montre comment ces appropriations sont différenciées et sont liées à leur socialisation antérieure ainsi qu’à leur(s) position(s) au sein de l’institution. J’analyse également l’armée en tant que régime de genre au sens de Raewyn Connell, soit la manière dont se décline l’institutionnalisation des inégalités de genre au sein de dispositifs organisationnels spécifiques, et ce dans ses dimensions matérielles, symboliques et culturelles.
Quel a été l’apport de votre recherche ?
En croisant des méthodes qualitatives (observations ethnographiques, entretiens) et quantitatives (questionnaire), je dévoile la manière spécifique qu’a l’institution militaire suisse de participer à la (re)production de l’ordre de genre et des dominations sociales. Plutôt qu’une institution historiquement et symboliquement masculine qui s’adapte peu à peu à la présence des femmes, ce sont aux femmes de s’adapter. Elles doivent s’assimiler, et cette assimilation est un jeu constant d’équilibriste entre les normes institutionnelles de la masculinité et les normes traditionnelles de la féminité, avec lesquelles elles doivent se mettre en conformité selon les situations. In fine, je montre que leur socialisation à l’interne de l’Armée suisse va dans le sens d’une socialisation de renforcement de manières d’être, d’agir, de faire et de penser marquées par les croyances en la méritocratie et en la séparation, la différenciation et la hiérarchisation des sexes.
Pour conclure, quelle a été votre expérience de thèse ?
Au sein du Centre de recherche sur l'action politique de l’Unil, j’ai pu bénéficier de nombreux retours de la part du corps professoral sur différentes ébauches de chapitres. Les échanges y ont toujours été très constructifs. Aussi et surtout, j’ai profité d’un contexte où les rapports avec mes collègues doctorant.e.s – et maintenant tou.te.s docteur.e.s – étaient centrés sur la solidarité, la collaboration et l’enrichissement théorique et pratique mutuel.