Le 1er décembre 2022 s’est tenu au CHUV le symposium « Demain, une médecine durable ? », le 2e de la Plateforme Durabilité et Santé FBM-UNIL, co-organisé avec l’Institut des humanités en médecine (IHM) CHUV-UNIL.
Le 1er décembre 2022 s’est tenu au CHUV le symposium « Demain, une médecine durable ? », le 2e de la Plateforme Durabilité et Santé FBM-UNIL, co-organisé avec l’Institut des humanités en médecine (IHM) CHUV-UNIL. Retour sur les moments forts de cette soirée et les messages-clés qui ont été délivrés par les intervenant·e·s.
Santé et environnement : un impact réciproque
Aujourd’hui, la santé est au cœur des problèmes environnementaux : les dégradations environnementales ont un effet important sur la santé (cancers, maladies cardio-vasculaires et respiratoires, maladies infectieuses), mais symétriquement le système de santé et l’exercice de la médecine ont un coût pour l’environnement, de l’ordre de 5% à 8% de l’empreinte carbone en Suisse.
Le Pr Renaud Du Pasquier, codirecteur de la Plateforme Durabilité et Santé de la FBM, donne en introduction quelques chiffres : dans le monde, quelque 10,5 millions de personnes ont été touchées dans leur santé depuis cinq ans en raison des dérèglements climatiques. Par ailleurs, le monde de la recherche n’est pas neutre en matière énergétique : rien que les voyages des membres de deux conseils européens scientifiques (ERC, EDCTP) ont produit en 2019 quelque 1’600 tonnes de CO2 en parcourant une distance équivalente à 15 fois la distance Terre-Lune !
Ces préoccupations ont fait l’objet d’une feuille de route récente intitulée « Pour un système de santé suisse durable dans les limites planétaires », sous l’égide de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), et rédigée par le Pr Nicolas Senn, Unisanté, et la DreSc. Julia Gonzalez Holguera, UNIL. Dans cette approche environnementale de la santé, trois postulats :
1/ Nous vivons une « grande accélération », qui montre un lien symétrique évident entre l’augmentation démographique, socio-économique, industrielle et urbaine, et les tendances à la dégradation environnementale ;
2/ Il existe des contraintes écologiques à ne pas dépasser (limites planétaires) pour un bien vivre optimal sur Terre ;
3/ Un plancher social définit également les contraintes minimales pour un espace juste et sûr pour l’humanité (logement, éducation, santé, etc.).
Un article récent du British Medical Journal (Hensher, 2020) mettait à l’agenda plusieurs recommandations globales : pour se situer dans les limites planétaires, les systèmes de santé doivent réduire leur consommation d’énergie et de ressources naturelles, diminuer leur complexité énergivore, tendre à une organisation plus locale, et réduire les développements d’infrastructures dévoreuses d’espaces disponibles.
Mais, nous dit Nicolas Senn, aujourd’hui ces mesures ne sont déjà plus suffisantes. C’est l’entier du système de santé qui doit être repensé, et ceci principalement sur trois axes :
1/ Réduire la demande et l’utilisation des services de soin, en encourageant notamment le débat social et l’engagement des citoyens et des communautés à cette transition socio-écologique ;
2/ Adapter les soins de santé, en développant des soins durables, des services « low tech à haute valeur ajoutée en santé » ;
3/ Améliorer l’efficience environnementale : promouvoir les efforts en durabilité des établissements de soin.
Regards d’étudiants sur cette thématique
Deux étudiant·e·s de dernière année de médecine ont illustré la thématique de la soirée en présentant leurs travaux de master. Mme Marie Vann a étudié l’impact du changement climatique sur les migrations et la santé globale. Elle s’est penchée sur la situation particulière des réfugiés érythréens, et les entretiens menés témoignent de l’impact de l’augmentation des températures et de la diminution des pluies sur la production agricole. Face à la dégradation des conditions de vie, la population est forcée de se déplacer. Si ces déplacements s’effectuent d’abord à l’interne du pays, ils s’orientent ensuite à l’international en raison de l’insécurité sociale et politique. A cette situation s’ajoutent de multiples difficultés iniquités : la difficulté d’accès au système de soin des réfugiés dans les pays hôtes, la non-reconnaissance du statut de réfugié climatique, et surtout, le constat que les pays les plus victimes du réchauffement climatique sont ceux qui en sont les moins responsables !
Par un bref retour dans le temps, M. Karim Belmadani a rappelé que déjà deux périodes de la médecine – l’époque d’Hippocrate et son traité Airs, Eaux, Lieux, et le vitalisme du 18e et 19e siècle – intégraient l’environnement et le climat dans les réflexions médicales. Cette tendance visiblement cyclique revient aujourd’hui avec l’intérêt croissant de repenser la médecine sous le prisme des enjeux environnementaux.
La durabilité en action au CHUV
Que fait le CHUV en la matière ? Depuis son premier plan de développement durable de 2008, le CHUV a continuellement renouvelé et intensifié ses engagements. Une Commission durabilité interdisciplinaire est actuellement en charge de l’agenda 2030 qui fixe les recommandations en matière d’environnement et d’économie des déchets au sein de l’hôpital. Deux de ses représentants, M. Patrick Mayor, coordinateur durabilité du CHUV et Mme Carine Praz, adjointe à la Direction des soins, nous ont exposé les démarches en cours :
1/ Respect de l’environnement (ex. : prise en considération de l’analyse du cycle de vie dans les appels d’offres, réduction du gaspillage alimentaire et des emballages);
2/ Ressources naturelles (ex. : optimisation de la consommation d’eau, optimisation du matériel informatique, réduction des impressions);
3/ Ressources énergétiques (ex. : amélioration de l’efficacité énergétique, utilisation d’énergie solaire, subventions mobilité);
4/ Pratiques cliniques responsables (ex. : harmonisation des déchetteries d’étage, suppression du desflurane en anesthésie, recyclage de l’aluminium);
5/ Conditions de travail responsables (ex. : augmentation du nombre de crèches, congé parental);
6/ Sensibilisation, communication et pilotage (ex. : sensibilisation aux écogestes, écoute des collaborateurs porteurs de projets).
Santé des populations et santé de l’environnement sont interdépendantes
La médecin de famille Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, responsable en santé planétaire à Montréal, a rejoint le symposium en visio-conférence pour apporter son éclairage sur la problématique environnement-santé telle qu'elle est abordée au Canada.
Ce pays est fortement touché par la crise climatique car il se réchauffe deux à trois fois plus vite que le reste du monde, fragilisant ainsi les écosystèmes. En découle par exemple l’augmentation des allergies et des maladies transmissibles, mais aussi un défi grandissant pour la santé mentale avec le développement de l’éco-anxiété et de syndromes de stress post-traumatiques suivant des désastres climatiques. Tout ceci engendre des coûts majeurs et accentue la surcharge du système de santé.
Les signaux d’alarme lancés par le personnel soignant canadien à la communauté internationale lors de discussions politiques ont fini par être entendus, et dorénavant les co-bénéfices entre santé et environnement sont mentionnés dans les textes officiels sur le climat. Il semble effectivement que l’action climatique résonne aujourd’hui avec le code de déontologie des médecins qui stipule que « le médecin a le devoir primordial de protéger et de promouvoir la santé et le bien-être des individus qu’il sert, autant sur le plan individuel que collectif. »
Cette obligation se concrétise au Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM) par un engagement dans une démarche de carboneutralité. Par ailleurs, des efforts sont déployés pour sensibiliser et former le personnel soignant aux enjeux climatiques. De façon générale, la communauté médicale se mobilise au Canada ; en témoignent les initiatives suivantes :
- Mesure détaillée de l’empreinte carbone du Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (CISSS Laval) ;
- Promotion d’une approche collaborative pour créer un système de santé durable face à la crise climatique, soutenir les systèmes de santé communautaire et développer des guides pratiques pour les médecins par le groupe Cascades ;
- Promotion de l’éducation et de l’interdisciplinarité dans la mise en place d’un système de santé durable par le Réseau d’action pour la santé durable au Québec ;
- Mise en place d’un programme de prescription nature pour encourager l’exposition des personnes à l’environnement naturel, voir nature.ca.
Un engouement est perceptible et confirmé, conclut la médecin, quant à l’intérêt des enseignant.e.s, clinicien.ne.s et étudiant.e.s canadiens à intégrer la question des limites planétaires dans le système éducatif et dans leur pratique. Un problème non négligeable reste la dépendance de l’économie canadienne aux ressources pétrolières et l’influence que cette dernière exerce dans les décisions politiques.
Leviers et obstacles pour une sobriété technique et clinique de la médecine
Pour conclure cet évènement, une table ronde interdisciplinaire a réuni Renaud Du Pasquier, Nicolas Senn, Patrick Mayor, Carine Praz, et deux nouveaux intervenants, membres de l’association Les Engagés pour la santé, Mme Katia de La Baume, infirmière, directrice de la maison Béthel, et le Pr Francesco Panese, sociologue de la santé à l’IHM et à l’UNIL, vice-doyen Qualité et Durabilité de la Faculté des sciences sociales et politiques.
Animée par la journaliste du Temps Mme Pascaline Minet, la discussion a tourné principalement autour des questions du coût de la médecine, de la place du patient au sein du système de santé, ainsi que de la politisation du corps médical.
Ancrée dans un système capitaliste, la médecine occidentale est devenue productrice de soins financièrement et environnementalement onéreux. Cette culture libérale s’est développée vers un entrepreneuriat médical qui encourage une surconsommation des soins médicaux. Par exemple, l’acte technique (comme une radiographie) est plus rémunérateur que l’acte intellectuel d’une mise en place de mesures prophylactiques, ou encore la prescription de médicaments originaux se poursuit alors que des alternatives génériques sont disponibles. Néanmoins, des initiatives existent pour pallier l’excès de soins médicaux : la smarter medicine ou encore la démarche choosing wisely identifient des soins superflus à proscrire sans impacter la qualité des soins. La transparence des prix des traitements et prestations a également été identifiée comme un moyen nécessaire pour révéler les nœuds du système.
Le besoin d’une communication ouverte entre le corps médical et les patients s’est aussi fait entendre. Ces derniers doivent être empowered (« encapacités ») et reconnus par le corps médical comme des acteurs de leur santé à part entière. Les accompagner dans la compréhension de leur maladie et communiquer sur l’importance des facteurs environnementaux sur lesquels ils peuvent agir est une des clés. Il est également important d’encourager l’intégration du patient et des proches-aidants aux discussions de santé, à l’image des initiatives d’experience-based co-design (innovation basée sur l’expérience des patients). Sur ce point la Suisse est en retard sur des pays comme la Belgique et le Canada qui maitrisent bien mieux ces processus de co-création.
Enfin, comme déjà soulevé par la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, la présence du corps médical sur la scène politique doit se faire plus marquée. D’abord, pour remettre la prévention au goût du jour et ainsi rediriger les investissements, notamment publics, vers la promotion de la santé ; et surtout, pour scander l’urgence qui pèse sur la santé faute de remise en question du système actuel. Il faudra pour cela une plus grande diversité d’acteurs à la table.
Contact des organisateurs : durabilite.fbm@unil.ch et ihm@chuv.ch
Pour en savoir plus
Santé et Environnement, sous la direction de Nicolas Senn, Marie Gaille, María del Río Carral et Julia Gonzalez Holguera, RMS, 2022
Forum suisse pour la durabilité du système de santé, organisé par l'ASSM le 8 juin 2023 à Berne.