Patrick Furrer prendra en main la Bibliothèque universitaire de médecine en janvier 2023. Rencontre avec le nouveau directeur, qui veut positionner la BiUM à l’interface entre les sciences cliniques et fondamentales, la recherche, la médecine et la société.
Patrick Furrer a eu plusieurs vies : tout d’abord, une vie de chercheur en biologie structurale, pendant dix ans, à la faveur d’une double formation en physique et en biologie. Puis, en 2001, il passe en quelque sorte derrière la caméra en rejoignant Euresearch, où il conseille les chercheurs en quête de fonds européens.
En 2014, après le séisme de la votation sur l’immigration de masse, qui hypothèque la participation suisse aux programmes de l’UE, il devient vice-recteur pour la recherche et l’innovation à la HES-SO : un « grand bateau » regroupant 7 cantons et plus de 20’000 étudiants. C’est là qu’il se familiarise avec les bibliothèques, et notamment avec le rôle central qu’elles peuvent jouer dans la « science ouverte », l’Open Science.
Science ouverte ? Quelques éléments de définition : « Cela signifie à la fois un accès libre au savoir via les publications en Open Access, un accès contrôlé aux données de recherche, mais aussi investir le tiers-lieu, cet espace de dialogue, d’échanges entre science et société. La bibliothèque est idéalement placée pour prendre à bras-le-corps ce rôle d’interface, et promouvoir une science citoyenne, une science participative », explique Patrick Furrer.
Exception vaudoise
Avant d’arriver à la Bibliothèque universitaire de médecine – de son petit nom la « BiUM »-, son nouveau directeur a présidé aux destinées de SLSP, pour Swiss Library Service Platform, regroupant au sein d’un seul réseau près de 500 bibliothèques scientifiques en Suisse. Il a ensuite coordonné le programme d’information scientifique et mis sur pied, au niveau national, le programme de sciences ouvertes au sein de swissuniversities, l’organisation faîtière des hautes écoles en Suisse.
Notons que le canton de Vaud, qui a décidé de faire cavalier seul en lançant Renouvaud pour l’ensemble des bibliothèques du canton, scientifiques et non scientifiques, utilise néanmoins le même système que SLSP. A la fois intégrée à Renouvaud et partie prenante du réseau national des bibliothèques scientifiques, la BiUM doit parfois jouer les équilibristes. Mais au final, souligne Patrick Furrer, « seul l’usager des services de la BiUM compte ; et il lui importe peu de savoir d’où vient le service ».
Les données, la vraie valeur ajoutée
Succédant à Isabelle de Kaenel, Patrick Furrer hérite avec la BiUM d’un solide outil, avec une large palette de services, et déjà bien positionné dans l’Open Science. « Les choses bougent beaucoup et évoluent très vite dans le monde de la publication scientifique. Nous prenons conscience aujourd’hui que ce qui compte le plus, la véritable valeur ajoutée produite par les équipes de recherche, ce sont les données. Le reste n’est finalement que de l’habillage. »
Pour Patrick Furrer, c’est une vraie révolution qui s’amorce dans le monde jusqu’ici très cadenassé de la publication scientifique : « Le mot d’ordre est désormais de montrer, de partager ses données à l’international, à des fins de reproductibilité et de transparence bien sûr, mais aussi pour qu’elles puissent être réexploitées, soumises à d’autres interprétations, à d’autres perspectives épistémologiques. » La science ouverte a fait ses preuves, notamment dans le cas du Covid, qui a été une sorte de catalyseur : « Ce partage des données a permis de détecter beaucoup plus rapidement les nouveaux variants, et d’accélérer le développement de nouveaux vaccins. »
Autrement dit, il faut en finir avec les tombereaux de data qui dorment dans des tiroirs ou sur des disques durs. Ce qui soulève bien sûr son lot de questions : questions techniques – il faut anonymiser ces données, les sécuriser, les standardiser et les stocker – mais aussi éthiques, particulièrement dans le domaine des études cliniques.
Travailler la confiance
« Toutefois, la pierre d’achoppement, ce n’est pas la science des données à proprement parler, mais la confiance dans les sciences et la médecine », nuance Patrick Furrer. Jusqu’ici, la BiUM a été au service des étudiants et des chercheurs, mais le nouveau directeur souhaite également toucher un troisième public, ce fameux « tiers-lieu », que l’on cible les patients, les proches aidants ou un public plus général. « Cela me semble particulièrement pertinent en médecine, où nous sommes à un carrefour en termes de confiance : le citoyen est de mieux en mieux informé sur sa santé, on peut même dire, dans le cas des malades chroniques, qu’ils sont les meilleurs experts de leur santé. Beaucoup ne veulent plus d’une relation verticale, mais un échange avec leur médecin. »
Par leurs connaissances, les citoyens peuvent aussi contribuer au savoir : « La science ouverte, c’est aussi une science qui est faite conjointement avec les citoyens. Qu’ils participent, par exemple, à un recensement des oiseaux dans le cadre d’un programme de Birdlife, ou qu’ils contribuent aux connaissances à travers des associations de patients ou, plus top-down, à travers de grandes cohortes comme CoLaus/PsycoLaus », estime Patrick Furrer. C’est une autre vision de la science, plus intimement mêlée à la société, et c’est une vision dans laquelle les bibliothèques scientifiques ont clairement un rôle-clé à jouer. « Ce rôle est assez nouveau pour les bibliothèques de médecine, mais c’est clairement une direction que je souhaiterais explorer avec la BiUM et ses partenaires dans les années à venir. »