Dimanche 9 octobre 2022, Bruno Latour, peut-être le philosophe, sociologue et anthropologue français le plus important de notre époque, et Docteur honoris causa de l’Université de Lausanne en 2006, est décédé.
Sa brillante invention consistant à étudier la science moderne avec les outils de l'anthropologie a d'abord révolutionné les études scientifiques, avec des livres tels que Laboratory Life : The Construction of Scientific Facts, coécrit avec le sociologue anglais Steve Woolgar, dans lequel Latour et Woolgar ont méticuleusement suivi le papier, les matériaux, l’argent, les conversations et les relations à l'institut de Salk de Roger Guillemin à San Diego qui ont conduit à un « fait scientifique ». Les travaux de Latour sur Louis Pasteur, publiés entre autres dans Les microbes : guerre et paix, dans lesquels Latour défendait la thèse que Pasteur n'avait pas découvert ses microbes mais avait collaboré avec eux, ont également contribué à la controverse qui a finalement débouché sur la « guerre des sciences », dans laquelle les scientifiques reprochaient à Latour de ne pas croire en l'objectivité, en la vérité objective de la science, et le mathématicien et physicien Alan Sokal le mettait au défi, si toute vérité scientifique était de toute façon une construction, de sortir par la fenêtre du 21ème étage.
La nature et la force de l'accusation de relativisme ont beaucoup surpris Latour ; son but n'était en aucun cas de miner la valeur de la science, mais de montrer à quel point elle est intégrée dans une infrastructure sociale et matérielle. Latour a examiné cette infrastructure au niveau micro, avec un œil attentif à ses effets sociaux, économiques et politiques. Avec ses plus proches collègues de l'École des mines, Madeleine Akrich et Michel Callon, Latour a intégré cette idée de la collaboration entre les humains et la matière dans la production de connaissances dans sa célèbre théorie de l’acteur-réseau (Actor Network Theory), qui a finalement sous-tendu ses travaux ultérieurs sur l'hypothèse Gaia et la notion d'anthropocène, et qui a été reflétée dans des ouvrages tels que Face à Gaia : Huit conférences sur le nouveau régime climatique, et Où atterrir : comment s’orienter en politique, après la pandémie.
Dans son travail, Latour a transcendé le monde universitaire, établissant des liens avec des écrivain·e·s, des artistes visuels, des créateur·trice·s de théâtre et des musées, comme un moyen presque naturel de rechercher et d'explorer de nouvelles façons dont le travail scientifique et les sciences sociales peuvent être à la hauteur et réaliser leur pertinence sociale.
Bruno Latour a été honoré de nombreuses manières. Il a reçu le prix Holberg à Oslo en 2013, qui est considéré comme le prix Nobel des sciences sociales. L'œuvre de Latour a eu, et continue d'avoir, une influence durable sur nombre de nos collègues. Nous perdons en Latour non seulement un grand spécialiste des sciences sociales, mais aussi un ami et un collègue inspirant.
Hommage rédigé par Prof. Harro Maas et le STS Lab