Face à l’antibiorésistance, la recherche lausannoise sur les bactériophages obtient un important financement. Enjeu : accélérer la procédure diagnostique, afin de venir en aide aux patients le plus rapidement possible.
Le projet SUPPLY, mené par le Centre de recherche et d’innovation en sciences pharmaceutiques cliniques (CRISP) du CHUV et de l’UNIL, a décroché un important financement conjoint du Fonds national suisse (FNS) et de son équivalent français, l’Agence nationale pour la recherche (ANR). Il s’élève à 1,3 millions de francs sur 48 mois. L’EPFL, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Grenoble sont les autres partenaires du projet.
Le projet, baptisé SUPPLY pour « SUperfast Photonic detection of Phage LYsis », vise à raccourcir le délai nécessaire à la sélection de bactériophages adaptés aux besoins des patients. Les bactériophages, ou phages, sont des virus n’infectant que les bactéries, et la phagothérapie, qui les mobilise contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, est une des pistes principales pour faire face à ce problème grandissant.
Une collection de phages
« La phagothérapie repose sur une procédure compliquée, puisque que nous sommes dans le contexte d’une médecine très personnalisée, explique Grégory Resch, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté de biologie et de médecine (FBM), qui dirige le Laboratoire des bactériophages au CHUV. Une fois que nous recevons la souche bactérienne qui infecte le patient, nous effectuons un test de phagogramme, qui consiste à identifier quels phages seraient les plus efficaces contre elle ». Ce test recourt traditionnellement à la culture en boîtes de Petri.
Le Laboratoire des bactériophages s’est ainsi constitué une collection de phages, axée sur les principales bactéries pathogènes résistantes aux antibiotiques, cachées derrière l’acronyme ESKAPE : Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae, Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa et Enterobacter spp., tous des pathogènes particulièrement problématiques en milieu hospitalier.
La lenteur du phagogramme actuel, d’une durée d’environ vingt-quatre heures, peut être critique dans les cas de sepsis par exemple, où le temps de mise à disposition du traitement au patient est fondamental. En outre dans le test actuel, la lyse, i.e. la désintégration des cellules bactériennes indicatrice de leur sensibilité aux phages, est repérée à l’œil nu, ce qui se révèle peu sensible.
Passer à la vitesse supérieure
« Avec le projet SUPPLY, l’objectif est de remplacer cette étape laborieuse du screening par phagogramme par un outil photonique de détection de la lyse sur un très faible nombre de bactéries, ce qui permettrait de ramener le temps de réponse à une heure. » Il sera difficile en revanche de descendre en-dessous de l’heure, le cycle de réplication d’un phage étant d’une vingtaine de minutes.
Dans le partage des tâches entre les partenaires de SUPPLY, les équipes de Romuald Houdré à l’EPFL, d’Emmanuel Hadji au CEA et de Marc Zelsmann au CNRS de Grenoble s’occuperont des aspects liés à la photonique, tandis que le CRISP prendra en charge la microbiologie : il fournira les phages – il produira notamment des souches fluorescentes pour l’analyse microscopique – et testera en vie réelle les outils développés par ses partenaires. A un niveau plus fondamental, le docteur Grégory Resch et son équipe se pencheront aussi sur les interactions entre phage et bactérie à des échelles inédites (étude d’une bactérie unique ou d’un phage unique).
Déjà mobilisée en clinique en France et aux Etats-Unis notamment, la phagothérapie ne fait pour l’heure pas partie de l’arsenal des hôpitaux helvétiques : « Les phages sont des médicaments, et à ce titre ils doivent être produits selon des règles strictes, s’appuyer sur des standards de fabrication définis » - ce sur quoi travaille également le CRISP. Grégory Resch estime que leur utilisation en clinique pourrait débuter au premier trimestre 2023 en Suisse.