Le 28 septembre 2022 a été lancé le consortium Biodiversity Genomics Europe (BGE), réunissant un large réseau de spécialistes européens en génomique autour de la biodiversité. Robert Waterhouse, professeur assistant de la Faculté de biologie et de médecine (FBM), détaille les enjeux du projet, dont l’UNIL est la représentante suisse.
Au départ, il y avait deux associations : l’ERGA (pour European Reference Genome Atlas), regroupant les expertes et experts du séquençage du génome, et BIOSCAN Europe, réunissant les spécialistes du barcoding moléculaire. Deux organisations vivaces, implantées un peu partout en Europe, qui auraient pu, en parallèle, continuer leur petit bonhomme de chemin. Mais il y avait urgence : face aux menaces environnementales comme le déclin des pollinisateurs, la détérioration des écosystèmes, ou l’impact des espèces invasives, il fallait agir. Et vite.
C’est pourquoi l’ERGA et BIOSCAN ont lancé ensemble le consortium Biodiversity Genomics Europe (BGE) le 28 septembre 2022, mutualisant leurs efforts et leurs ressources pour mener à bien une vaste « cartographie » du vivant, limitée aux eucaryotes, visant à détailler les mécanismes fondamentaux régulant les écosystèmes européens. Le Secrétariat d'État à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI) a fourni près de 900'000 francs sur un budget total de 21 millions d’euros, financé sinon par l’Union Européenne et le Royaume-Uni.
Et Robert Waterhouse, professeur assistant au Département d’écologie et évolution de la FBM-UNIL, vice-président de l’ERGA, spécialiste de la génomique des arthropodes, a été une des chevilles ouvrières du projet BGE. Au sein du consortium, il coordonne la mise en réseau des activités de séquençage du génome.
Des approches complémentaires
Si l’UNIL est la seule institution à représenter la Suisse au sein de BGE, plusieurs chercheuses et chercheurs de Berne, Neuchâtel, Zurich ou Genève sont également impliqués. Dans le cadre du projet pilote visant à asseoir l’approche "distribuée" de l’ERGA, Robert Waterhouse a notamment collaboré avec Nadir Alvarez, professeur de l’UNIGE devenu le nouveau directeur du Musée cantonal vaudois des sciences naturelles, pour le séquençage de deux coléoptères, deux abeilles et un éphémère.
Mais en quoi consistent exactement les deux démarches de l’ERGA et de BIOSCAN, et comment se complètent-elles ? « Les deux approches sont assez différentes : le barcoding moléculaire (ou DNA barcoding) utilise de courtes séquences d’ADN mitochondrial, ce qui lui permet de discriminer des espèces parfois morphologiquement très proches. » Cela d’une façon un peu analogue au code-barre utilisé pour distinguer les produits dans un supermarché. Au sein de BGE, les experts de BIOSCAN prévoient d’inventorier 50'000 espèces.
Le séquençage de génome, lui, vise à décrypter l’intégralité du génome, tous les chromosomes d’une espèce, un processus autrement plus long : les expertes et les experts de l’ERGA ont comme objectif, au sein de BGE, le séquençage de 450 à 500 espèces. « Nous travaillons à des échelles différentes ; du côté du barcoding, on considère beaucoup plus d’espèces, alors que du côté du génome, si on travaille avec peu d’espèces en comparaison, nous générons aussi beaucoup plus de données. Nous allons beaucoup apprendre les uns des autres. »
Affiner les connaissances
Cet inventaire sera réalisé selon deux axes : le premier suivant la taxonomie des espèces, le second s’attachant à une répartition équitable entres les régions européennes. « La biodiversité n’est pas qu’une affaire de pays riches, souligne Robert Waterhouse. C’est pourquoi il faut soutenir le partage des connaissances et de l’expertise, l’avancement de l’inventaire, mais aussi le développement des infrastructures, dans des pays moins bien dotés, notamment en Europe de l’Est. »
Les données croisées du séquençage de génome et du barcoding moléculaire permettront d’avoir une vision beaucoup plus fine des liens d’interdépendance entre les espèces, mais aussi des interactions au sein d’une même espèce, et de la façon dont elles réagissent aux pressions environnementales, « autant d’outils, de ressources utiles pour la conservation ». Robert Waterhouse espère aussi une émulation, avec la création de projets génomiques nationaux, comme c’est déjà le cas en Norvège, en Suède, au Royaume-Uni et récemment en France pour les espèces marines.
« Je prends un exemple dans mon domaine : si on séquence le génome complet d’une espèce, on peut ensuite comparer ce génome de référence avec celui de différentes populations locales, grâce à la technique du genome skimming - ou « écrémage » en français-, qui utilise des séquences beaucoup plus courtes. L’alignement de ces données nous donnera une bonne idée de la diversité génétique d’une espèce, nous permettant d’évaluer sa santé. Après un crash de population, quand celle-ci baisse fortement, cette diversité génétique a en effet tendance à diminuer également ». Dès lors, BGE va mettre un accent particulier sur les espèces en danger, comme celles qui se trouvent sur la liste de l’UICN. « Nous espérons que les données que nous allons générer pourront influencer les décisions dans les politiques de conservation. »
Interopérabilité des données
Tous les eucaryotes, arthropodes, mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens, deux groupes particulièrement fragilisés par les changements environnementaux, sont inclus dans le projet BGE. Tout comme les plantes, mais avec une nuance… de taille ! « Les plantes ont souvent un génome très large. Je prends l'exemple du gui, environ 30 fois plus grand que le génome humain, son génome récemment séquencé contient environ 90 milliards de nucléotides – cela représente une quantité énorme de séquençage ! » Dès lors, il va falloir faire des choix, se focaliser sur des plantes dotées de « petits » génomes.
Le consortium BGE donne en tout cas un nouvel envol à la génomique de la biodiversité en Europe. Le communiqué du 28 septembre de BGE parle avec ambition de « saut quantique ». On évoquera plus sobrement les substantielles économies d’échelle que laisse entrevoir le rapprochement de l’ERGA et BIOSCAN Europe : « Il y a beaucoup de chevauchements dans les approches du barcoding et du séquençage du génome, et donc un gros potentiel de synergies. Je pense notamment au début du processus, lorsqu’il s’agit d’échantillonner, d’identifier les espèces et d’extraire l’ADN ; nous pouvons travailler sur le même échantillon, nous n’aurons donc théoriquement besoin de faire cette opération qu’une seule fois. »
Autre enjeu: l’harmonisation des données et des métadonnées, afin d’assurer une interopérabilité optimale tout le long de la chaîne. Cela est d'autant plus important que les organisations européennes collaborent avec des partenaires internationaux pour élaborer les meilleures pratiques en matière de collecte éthique des données et les moyens de maximiser l'utilité future de toutes les ressources génomiques générées.
« Dans la première phase de ce projet, nous allons d’abord devoir apprendre à travailler ensemble. Si nous faisons du bon boulot, nous pouvons espérer un deuxième round de financement, peut-être plus conséquent, de l’Union Européenne et de ses partenaires, afin d’augmenter encore notre couverture des espèces européennes », conclut Robert Waterhouse.