Agnès Aubry (CRAPUL) a soutenu sa thèse de doctorat au printemps dernier : « Gouverner les “indésirables” par le bénévolat. Sociologie politique de la mise au travail gratuit ». Sa thèse a obtenu un prix de la faculté. Coup de projecteur.
Comment en êtes-vous venue à vouloir faire une thèse de doctorat ?
Lors de mon Master que j’ai effectué ici à l’UNIL, j’ai eu la chance de suivre des ateliers pratiques qui m’ont initiée à la recherche ethnographique, et je me suis aperçue que j’avais des appétences particulières pour les enquêtes de terrain. J’ai ensuite réalisé mon mémoire sur une association pour femmes migrantes en Suisse romande, lors duquel je me suis familiarisée avec l’étude du monde associatif ainsi que des rapports sociaux de sexe, de classe et de race. J’ai voulu poursuivre la recherche dans ce domaine en effectuant une thèse.
Pouvez-vous nous parler de votre terrain d’enquête de la thèse ?
J’ai choisi des terrains d’enquête qui me permettaient d’étudier le travail d’associations qui s’occupent des personnes migrantes dès leur arrivée en Suisse et, ainsi, qui jouent un rôle dans les politiques d’accueil et d’assistance. J’ai enquêté au sein de deux associations, dont l’une est sous mandat des pouvoirs publics et l’autre collabore de manière informelle avec les autorités politiques locales et fédérales.
Sur quoi porte votre thèse ?
Ma thèse porte sur la délégation par l’État de l’accueil et de l’assistance au milieu associatif. J’ai donc analysé l’externalisation de ces tâches à des bénévoles ou à des travailleuses sociales (principalement des femmes) dans un contexte de néolibéralisation des politiques sociales et migratoires. J’ai notamment pu souligner la façon dont le milieu associatif était aujourd’hui conduit à se réapproprier des pratiques de mise au travail via l’incitation des migrant·es précarisé·es au travail bénévole ou leur assignation à des travaux d’utilité publique. C’est ce qui m’a amenée ensuite à interroger la façon dont les personnes concernées vivaient ces assignations au travail gratuit, et à explorer les tactiques auxquelles leur implication dans le travail gratuit pouvait renvoyer.
Quel a été l’apport de votre recherche ?
Ma thèse montre que cette mise au travail gratuit des personnes migrantes ou précarisées participe de ce que j’ai appelé une « méritocratisation » de l’accès à un statut légal. Les bénéficiaires de prestations d’accueil et d’assistance sont conduit·es à devoir travailler gratuitement pour prouver qu’ils et elles méritent d’accéder à la citoyenneté ou à un statut légal stable ou moins précaire.
Un autre apport de ma thèse a été de rendre compte de la façon dont se recomposent les relations entre l’État (ou les pouvoirs publics) et le tiers secteur (le monde associatif) actuellement en Suisse. À travers des outils tels que les « partenariats publics/privés », le pouvoir étatique se redéploie, pour gouverner les migrant·es précarisé·es à moindre coûts moraux, politiques et financiers.
Pour conclure, quelle a été votre expérience de thèse ?
J’ai eu l’opportunité de rencontrer des chercheurs et chercheuses de différents horizons, que ce soit en Suisse, en France ou aux Etats-Unis dans le cadre d’une mobilité doctorale octroyée par le FNS. Ces différents échanges ont nourri mon travail. Bien que le milieu académique pousse souvent à la compétition, j’ai eu la chance de pouvoir nouer des liens avec des personnes qui pensent que la recherche est une aventure collective. Enfin, une grande partie de mon expérience de thèse a été d’être sur le terrain. L’enquête ethnographique que j’ai menée m’a amenée à être bénévole dans les associations étudiées pendant environ trois ans. J’ai beaucoup appris auprès des personnes rencontrées dans ce cadre.