Le Recteur Frédéric Herman répond à quelques questions concernant la réponse de l’Université aujourd’hui au titre honorifique qu’elle a décerné en 1937 au dictateur Benito Mussolini.
M. le Recteur, votre Direction propose d’activer un processus mémoriel qui d’une part reconnaît et condamne cet acte institutionnel daté de 1937 et, d’autre part, s’adresse aux générations futures comme un appel à la vigilance démocratique. N’est-ce pas trop ambitieux ?
Les valeurs de l’UNIL sont à l’opposé du fascisme et nous ne sommes jamais trop ambitieux quand il s’agit de défendre les valeurs démocratiques et de lutter pour que les errements du passé ne se reproduisent plus. Si nous, Université, qui devons être un modèle de démocratie, baissons les bras, quel exemple donnons-nous à notre société ? A plus forte raison alors que nous hébergeons dans notre communauté toutes les compétences requises, de haut niveau scientifique, pour réaliser ce travail d’analyse mémorielle et de prévention de la résurgence des vieux démons.
Pensez-vous, comme notre professeur honoraire Hans-Ulrich Jost, que retirer ce titre n’aurait pas été possible sans enlever une pièce de l’histoire et donc, finalement, sans une forme d’amnésie collective ?
Aujourd’hui nous revenons une fois encore sur la question de ce doctorat honoris causa parce que le Rectorat de l’UNIL en 1987 avait déjà refusé de le retirer et préféré apporter tous les outils de transparence sur les circonstances de son attribution. Je doute que la question serait à nouveau l’ordre du jour aujourd’hui, si le titre avait été retiré il y a trente-cinq ans. Donc oui, les interpellations de ces dernières années à la Direction, qui ont déclenché l’actuelle démarche de repositionnement, me font abonder dans le sens de l’analyse du professeur Jost.
Préférez-vous à une culture de l’effacement à la mode une culture de la responsabilité plus exigeante ?
C’est exactement le sens de notre démarche. Retirer ce titre à Benito Mussolini, ce serait l'enlever du débat démocratique, qui est au cœur du fonctionnement de l'université. Le niveau d’exigence que nous nous imposons est en effet élevé. Quinze personnes issues des sept facultés de l’UNIL, appuyées encore par quelques experts externes, se sont réunies sur une période d’environ deux ans pour produire le rapport que leur demandait la Direction afin de modifier en toute connaissance de cause sa posture sur la question. Vous voyez que le rapport a abordé quantité de questions, sous des angles très variés. Prononcer un retrait du titre aurait probablement été plus aisé, mais aurait été à l’encontre de notre mission et de nos valeurs académiques.
Parmi les mesures décidées il y a le soutien de la Direction à des projets de recherche et d’enseignement centrés sur l’émergence des idéologies totalitaires. N’est-ce pas redondant par rapport aux travaux en histoire menés dans les facultés de Lettres et de SSP ?
Je ne vois pas de redondance. Notre idée est de lancer un appel à projets, c’est à dire mettre à disposition des ressources orientées sur un objet d’étude. Pourront y répondre les chercheuses et chercheurs des facultés que vous mentionnez … ou d’autres. C’est une manière d’inciter des spécialistes d’autres domaines scientifiques, afin de ne pas aborder la question sous son seul angle historique. Car notre intention n’est pas tant de développer encore l’histoire du fascisme (nous avons déjà une chaire dédiée qui aborde cette question avec une compétence reconnue) que de favoriser un élargissement des champs disciplinaires requis pour toujours mieux comprendre comment des idéologies totalitaires, qui s’inspirent de près ou de loin du fascisme, peuvent encore émerger aujourd’hui.
Une autre mesure porte sur la médiation scientifique au niveau des écoles, des gymnases et auprès du grand public. Faites-vous un lien entre cette action et l’idée de « préparer demain » au cœur de votre plan d’intention 2021-2026 ?
Disons que nous n’avons pas rédigé notre plan d’intention avec cette affaire à l’esprit, évidemment. Mais les suggestions du Groupe de travail, reprises en partie par la Direction dans les mesures qu’elle propose de mettre en œuvre, s’inscrivent dans la logique que veut mettre en place notre plan d’intention. Donc oui, notre intention est de préparer demain, dans le cas précis en mettant à disposition de publics externes à l’UNIL des outils pour aborder avec plus d’acuité la question des totalitarismes.
Suffit-il de rappeler des valeurs comme le respect de la vie humaine, de la liberté de pensée et d’expression pour empêcher que ne se développent des pulsions et des idées fascisantes dans une époque aussi troublée que la nôtre ?
Le mode d’action d’une université va au-delà du simple rappel de valeurs. Il repose plutôt sur la constitution de savoirs, le développement d’outils d’analyse et de déconstruction, de mise en relation des composantes qui constituent une situation. Notre Charte des valeurs fixe que l’UNIL contribue à la formation de citoyennes et de citoyens humanistes, critiques et responsables, autonomes et solidaires, désireux de développer constamment leurs compétences et animés par la volonté du dépassement des acquis, tout au long de la vie. Il faut croire – et là on entre dans le champ des valeurs – qu’en formant de tels citoyennes et citoyens, l’UNIL contribuera à alimenter, toujours et encore, les fondements de notre système démocratique…
La position de la Direction
En 1937, dans un contexte de montée des totalitarismes, où les exactions du régime fasciste en Italie comme en Afrique étaient clairement connues du public suisse, l’Université de Lausanne a décerné un doctorat honoris causa (d.h.c.) à Benito Mussolini. Elle l’a fait en connaissance de cause, avec le soutien de son autorité politique.
Ce d.h.c. a immédiatement été contesté par une partie de la société vaudoise et nationale. Dès l’après-guerre, les rectorats successifs de l’Université ont été à plusieurs reprises interpellés afin de reconsidérer cet honneur et de retirer le d.h.c., à titre posthume.
En 1987, pour répondre à de telles revendications et favoriser la compréhension de cette initiative choquante, le Rectorat a décidé de porter à la connaissance du public la totalité des pièces que l'Université possédait sur l'événement de 1937, dans l’espoir que cette démarche serait le point de départ de recherches sur les circonstances qui ont entouré l'attribution de ce DHC.
En 2020 la Direction, interpellée une fois encore, a considéré que la posture adoptée depuis 1987 visant à publier les pièces du dossier sans prise de position institutionnelle ne répondait plus aux attentes de la société contemporaine, particulièrement sensible aux questions mémorielles et aux enjeux éthiques et politiques liées à celles-ci.
Convaincue que l’UNIL doit assumer activement cette page de son histoire, la Direction a mandaté un groupe d’experts et d’expertes issus de ses facultés pour l’aider à reconsidérer la position institutionnelle de la manière la plus juste possible.
Le rapport produit par ce groupe expert et représentatif de toutes les facultés de l’UNIL souligne les enjeux éthiques, juridiques, politiques et mémoriels soulevés par la décision de 1937 et par sa gestion institutionnelle postérieure. Il reconnait la pleine légitimité de l’indignation ou du malaise suscités par le d.h.c., mais souligne également qu’une réponse institutionnelle qui se limiterait à la question du retrait serait incomplète. En effet, outre le fait qu’un acte de retrait n’a pas de base légale ou réglementaire, il risque avant tout de donner l’impression que l’UNIL veut effacer le passé, ou pour le moins se dédouaner de manière conjoncturelle. Or pour être adéquate, une réponse institutionnelle doit donner l’occasion de réaffirmer en permanence les valeurs fondamentales de l’Université, en s’accompagnant de toutes les mesures possibles pour éviter que le triste épisode de 1937 ne soit répété, par l’institution mais aussi par son environnement social et politique.
La Direction de l’UNIL affirme donc clairement qu’en remettant un d.h.c. à Benito Mussolini en 1937 l’Université de Lausanne a failli à sa mission et aux valeurs académiques fondées sur le respect de l’individu et la liberté de pensée.
Plutôt que renier ou effacer cet épisode qui fait partie de son histoire, la Direction de l’UNIL veut qu’il serve d’avertissement permanent sur de possibles dérives idéologiques auxquelles toute personne, institution – à commencer par l’UNIL elle-même – ou société est exposée en tout temps.
Pour cela la Direction de l’UNIL veut engager l’institution et sa communauté dans une politique mémorielle active qui mette en exergue les enjeux historiques, juridiques, éthiques et politiques de son passé, de manière à en faire des repères face aux totalitarismes de tout temp. Pour mettre en œuvre une telle politique, elle annonce les mesures suivantes :
La Direction mettra sur pied un dispositif de promotion et suivi de projet pour garantir la réalisation de cette politique.