Le Prof. Goodale (Institut des sciences sociales) publie un ouvrage qui prône une approche radicalement reformulée des droits humains, afin de surmonter les problèmes mondiaux les plus importants.
Le Prof. Mark Goodale nous l’avait annoncé lors de sa conférence en septembre dernier, dans le cadre de la Cérémonie d’ouverture des cours de la Faculté : sa proposition de réinventer les droits humains commence par un déballage profond de l'institutionnalisme et de la théorie politique des droits humains, afin de donner la priorité à la "pratique des droits humains".
Dans son ouvrage « Reinventing Human Rights » publié ce mois-ci chez Stanford University Press, il propose une théorie pratique des droits humains définie par la "translocalité", un fondement conceptuel et éthique qui invite les gens à former des alliances au-delà des frontières établies de la communauté, de la nation, de la « race » ou de l'identité religieuse.
Quelle définition donnez-vous aux « droits humains » ?
Étant donné que ma proposition appelle à un découplage des "droits humains" de leur ancrage traditionnel dans le droit et la politique (internationale et nationale), j'adopte une approche dans laquelle les droits humains sont définis comme une logique de mobilisation et d'empouvoirement (individuelle et collective). Le terme lui-même est conservé, malgré cette reformulation radicale, afin de préserver la force morale qui subsiste dans sa formulation existante, c'est-à-dire orthodoxe.
Prof. Goodale, cet ouvrage est l’aboutissement de vingt années de recherche, d’écriture et de réflexions sur le présent et l’avenir des droits humains. Pouvez-vous nous décrire les résultats les plus importants ?
Avant tout, ce livre vise à cristalliser et à appliquer tout ce que nous avons appris collectivement sur les droits humains à travers la pratique des droits humains, ce qui est une façon abrégée de dire à travers l'anthropologie des droits humains. J'ai passé de nombreuses années à être l'anthropologue de service ("token anthropologist") parmi les philosophes, les juristes, les politologues et d'autres, en insistant sur le fait que l'ethnographie comparative des droits humains, réalisée depuis plus de deux décennies, a créé une base de données unique, à partir de laquelle divers cadres alternatifs de droits humains pourraient être construits. « Reinventing Human Rights » est l'un de ces cadres, construit à partir de cette base de données, mais il est évident qu'il peut et doit y en avoir d'autres.
A un niveau plus général, le livre a été écrit avec un regard inquiet sur l'état de la politique progressiste à la lumière de problèmes structurels durables, tels que l'inégalité économique et sociale, le changement climatique, l'incapacité totale du droit international (comme le démontre l'invasion de l'Ukraine), et la consolidation du capitalisme mondial par le biais du G20, qui en est venu à remplacer l'ONU comme centre institutionnel du pouvoir mondial.
La question que je pose dans le livre est la suivante : Avec autant de mouvements pour la justice organisés autour de ce que j'appelle les "catégories de différence exclusionnaire" ("categories of exclusionary difference"), comment des mobilisations plus larges pourront-elles avoir lieu ? Le cadre pour une réinvention des droits humains est ma réponse à cette question.
Comment « la translocalité » se définit-elle et comment permettrait-elle concrètement de traverser des crises d’ordre mondiale, comme celle générée par la pandémie que nous venons de traverser ?
Le concept de translocalité a une signification à la fois théorique et pratique. Étant donné que je soutiens qu'une réinvention des droits humains doit être détachée du concept clé d'universalité, j'ai dû développer une alternative, une alternative qui préserve certaines des mêmes ambitions d'universalité, mais sans tous les défauts. En même temps, la translocalité exige que les gens forment des alliances au-delà des catégories de différence (à la fois inclusives et exclusionnaires) afin de pouvoir répondre collectivement à des problèmes plus larges. L'expérience de la pandémie, dont j'ai parlé dans un article récent, ne fait que renforcer l'argument selon lequel les droits humains "universels" existants ne sont absolument pas pertinents pour organiser des actions collectives à l'échelle mondiale.
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Mark Goodale est Professeur ordinaire à l’Institut des sciences sociales de la Faculté, et membre du Laboratoire d'anthropologie culturelle et sociale (LACS). Il est également responsable de l’orientation « Droits humains, diversité et globalisation » du Master en sciences sociales proposé dans la Faculté des SSP.