Les projets de quatre chercheuses en sciences sociales ont été sélectionnés pour le projet Interact 2022 dans le cadre du thème « genre et ville ».
La plateforme Interact, un projet qui encourage et soutient les collaborations entre les chercheuses et chercheurs de l’UNIL et les collaboratrices et collaborateurs de la Ville de Lausanne, sélectionne chaque année plusieurs projets en lien avec une thématique clé. Cette année, les contributions de quatre chercheuses en sciences sociales de la Faculté des SSP ont été retenues et ont notamment bénéficié d’un financement.
Rencontre avec Cléolia Sabot (LINES, ISS), Dre Fiona Friedli (PlaGe, ISS), Dre Flora Plassard (LACCUS, ISS et ISSUL) et Dre Solène Froidevaux (CEG, ISS et Université de Concordia, Montréal).
Félicitations pour la sélection de votre projet. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
Flora Plassard (FP) et Solène Froidevaux (SF) : Ce projet, en collaboration avec Petra Meyer-Deisenhofer, déléguée aux places de jeux, et Jérôme Rochat, délégué au sport associatif et au sport pour toutes et tous de la Ville de Lausanne, entend faire l’état des lieux de la « mixité dans l’utilisation des espaces de sports urbains à Lausanne », en s’intéressant plus particulièrement aux pratiques des adolescentes et des jeunes femmes. Ces dernières fréquentent peu les espaces sportifs urbains, comme l’attestent la recherche en sociologie du sport et les dernières évaluations de politiques publiques, notamment à Lausanne. De surcroît, l’adolescence constitue souvent une étape de rupture de l’engagement sportif pour les femmes. Le projet vise donc à être à l’écoute des besoins de cette catégorie de la population afin d’élaborer une série de recommandations en vue d’adapter ou de créer des infrastructures, visant à favoriser la participation des jeunes femmes à l’espace sportif urbain et de manière plus globale, la mixité dans l’espace public.
Fiona Friedli (FF) : Notre recherche appréhende la politique d’animation socioculturelle de la Ville de Lausanne à l’aune d’une approche qui se nomme « budgétisation sensible au genre ». Cette approche vise à favoriser une distribution équitable des ressources publiques, pour que celles-ci offrent les mêmes opportunités à toutes et tous. Ce projet émane d’une collaboration avec la Dre Joëlle Moret, Déléguée à l’égalité et la diversité et le Dr. Damien Wirths, Adjoint administratif en charge de la coordination des quartiers de la Ville de Lausanne.
Cléolia Sabot (CS) : Le projet « préaux en tous genres », sur lequel je travaille avec Florence Godoy, Déléguée à l’enfance de la Ville de Lausanne, vise à observer, documenter et analyser les activités et les interactions dans les préaux lausannois au prisme du genre. Ce sont des endroits emblématiques à la fois de l’institution, du temps et des activités scolaires, autant qu’à l’échelle du quartier, de ses habitant·e·s et de ses animations.
Cette recherche permettra d’énoncer des recommandations pratiques au fur et à mesure que les résultats émergeront, à destination des professionnel·le·s de la Ville de Lausanne, de son administration, de l’institution scolaire et des enfants. Imaginer et nécessairement proposer des pistes pour penser, aménager et réduire les inégalités de genre dans les préaux offriront de nouveaux possibles aux acteurs professionnels et aux enfants.
Quels sont les avantages et enjeux de votre participation à la plateforme Interact pour votre projet ?
FP/SF : Nous sommes toutes les deux spécialistes des questions de genre dans le sport et des méthodes de récolte de données qui seront mobilisées lors du mandat (observations et entretiens), nous pensons donc pouvoir soutenir la Ville dans sa volonté de proposer un espace public plus inclusif, et ici spécifiquement en ce qui concerne les infrastructures sportives urbaines. De plus, ce projet fait suite aux résultats et recommandations d’une enquête sur les pratiques sportives des femmes en région lausannoise (2019-2021), à laquelle Solène a participé. Notre actuelle collaboration marque donc la continuation de relations enrichissantes avec différents services de la Ville. L’enjeu central de notre participation à la plateforme Interact se situe de manière plus globale sur la nécessité d’établir des ponts entre recherche académique, les institutions publiques et la population, dans le but d’améliorer la vie publique. Ainsi, un groupe d’accompagnement, composé de différents acteur·ice·s de la Ville mais aussi par exemple de membres du Conseil des jeunes, aura une place importante dans le projet.
FF : Interact favorise la mise en relation entre la Ville et l’UNIL, puisque le projet doit être conçu et déposé conjointement. Je trouve formidable de pouvoir m’investir dans une recherche qui a été pensée avec mes partenaires de la Ville de Lausanne et qui pourra répondre à leurs besoins.
CS : Dans notre projet Préaux en tous genres, les avantages sont multiples. D’un point de vue scientifique d’abord, nous avons une opportunité unique de développer des connaissances en sciences sociales sur les questions d’enfance, compte tenu du peu de recherches réalisées en Suisse à ce sujet. Nous manquons de ressources pour documenter ces réalités, et par conséquent de données scientifiques pour informer les décideurs politiques et les acteurs de l’administration publique afin de changer les pratiques. Il va sans dire que la perspective intersectionnelle que nous souhaitons aborder nous permettra de rendre compte de la complexité des activités, des relations et des interactions qui prennent place dans les préaux.
L’avantage principal de ce projet réside dans la collaboration avec de multiples services de la Ville de Lausanne, et nombre de collaborateur·ice·s et d’étudiant·e·s de l’Institut des sciences sociales. Les liens étroits que nous avons établi avec Florence Godoy, Déléguée à l’enfance à la Ville de Lausanne, nous permettent d’articuler cette recherche à d’autres dispositifs mis en place pour encourager la participation des enfants à Lausanne. Nous souhaitons nous inspirer de pratiques existantes, et les étendre à des démarches scientifiques. Cette articulation nous permettra donc de développer des recherches non seulement sur les enfants, mais également avec voire par elles et eux.
Que représente cet accomplissement pour votre parcours de chercheuse ?
FP/SF : Mener une recherche qui a pour but l’application concrète de mesures et de recommandations visant à améliorer l’expérience vécue dans l’espace public des habitant·e·s est une chance. Ce projet de recherche-action est au cœur des motivations qui nous poussent à faire de la recherche, notamment le fait de pouvoir avoir un impact sur la lutte contre les inégalités de genre ; et d’améliorer ainsi le vivre-ensemble.
FF : Je m’investis dans ce projet en tant que chercheuse mais aussi en tant que coordinatrice de la Plateforme interfacultaire en études genre de l’UNIL. À cet égard, je me réjouis que cette recherche serve aussi à tisser des liens étroits avec la Ville de Lausanne et les personnes qui travaillent dans le domaine de l’animation socioculturelle. C’est une excellente opportunité de faire connaître notre Plateforme de recherche et de montrer qu’elle peut aussi être utile dans le domaine de la recherche appliquée.
CS : Je travaille depuis plusieurs années dans le champ de la sociologie de l’enfance, y compris dans le cadre de ma thèse. Je suis donc ravie de participer au développement d’un regard critique sur l’enfance en sciences sociales, à Lausanne, alors que l’essentiel des ressources se trouvent dans les Childhood studies ou dans la sociologie de l’enfance contemporaine, concentrée en France. Nous gagnerons également à aborder la complexité des questions de genre au sein des préaux. En effet, nous souhaitons dépasser la simple distinction entre des activités féminines et masculines, en documentant l’influence d’autres rapports sociaux sur et avec le genre, notamment liés à l’origine sociale ou culturelle, à la sexualité ou à l’âge.
De plus, la coordination du projet Préaux en tous genres est une opportunité unique de découvrir et développer des compétences en gestion des projets de recherche, particulièrement en début de carrière. J’ai souhaité partager cette occasion en créant une équipe de recherche novice, exclusivement constituée d’étudiant·e·s de Bachelor et de Master (V. Brahier, M. Cherix, M. Chollet, I. Guarino, M. Yersin). Communiquer et partager cet intérêt avec d’autres chercheur·euse·s rend cette expérience riche et passionnante. Nous aurons toutes et tous beaucoup à apprendre les un·es des autres.
Y a-t-il quelque chose que vous souhaitez ajouter ?
FP/SF : Nous remercions à nouveau la plateforme Interact de nous donner l’opportunité de collaborer avec des institutions publiques, renforçant ainsi le dialogue entre les chercheur·se·s travaillant sur les inégalités sociales et les acteur·ice·s hors du champ académique qui s’attèlent à la mise en œuvre de politiques publiques plus égalitaires.
CS : Développer un œil critique sur l’enfance n’est pas un exercice évident. En effet, tout un chacun énonce volontiers son avis personnel, ses expériences vécues, ses observations subjectives ou son vécu familial en rapport aux enfants. Comment donc faire reconnaître une expertise scientifique à ce sujet et légitimer ce « petit objet » ? Comment le sortir des carcans de la psychologie et « sociologiser » l’enfance ? Notre défi dans cette recherche vise précisément à révéler la force des imaginaires collectifs et les rapports sociaux qui dessinent le quotidien des enfants dans les préaux, aussi bien que les pratiques des enfants acteurs, qui les produisent et les reproduisent.