Guillaume Beausire (CRHIM) revient sur une récente expérience pédagogique.
Dans le cadre du séminaire consacré aux méthodes de l’histoire, Thomas David et Guillaume Beausire ont travaillé avec leurs étudiant·es sur un sujet d’une vive actualité : la conférence diplomatique qui s’est déroulée en 1922 et 1923 à Lausanne et qui a donné lieu à la conclusion au Palais de Rumine du Traité de Lausanne 1923. Parfois considéré comme l’événement qui met véritablement fin à la Première Guerre mondiale ; elle bouleverse également les frontières du Moyen-Orient à la suite de la dissolution de l’Empire ottoman, engendrant par là d’importants déplacements de population. À la veille du centenaire du Traité de Lausanne 1923, le sujet soulève encore de profondes tensions politiques.
Naissance du projet
Deux impulsions ont donné lieu à ce séminaire. Tout d’abord il nous préoccupait, à l’occasion d’un séminaire axé sur les méthodes de l’histoire, d’insister sur la notion de jeux d’échelle qui invite à interroger le local dans le global, autant que le global dans le local. Avec la Conférence de paix de Lausanne (1923) et à l’approche du centenaire, nous avions un objet idéal pour aborder Lausanne sous l’angle d’une histoire globale et pour essayer de réencastrer cet événement diplomatique de grande ampleur dans des problématiques plus locales.
La seconde impulsion a été « archivistique » et s’est jouée pas loin de Géopolis aux Archives cantonales vaudoises. Au détour d’une visite, nous avons notamment mis la main sur des documents issus des archives de la police cantonale qui relatent l’important dispositif de sécurité déployé pour l’événement. Devant les plans en grands formats produits par la police pour encadrer l’arrivée de Mussolini à la gare de Territet, cet angle sécuritaire nous a semblé stimulant et inédit. Nous avions donc tout pour faire une histoire locale d’un événement aux répercussions globales.
Description du projet et résultats
Dans l’ensemble, le déroulement pédagogique est plutôt classique : les étudiant·es sont invité·es à exploiter différents matériaux d’archives pour produire un travail analytique sur un enjeu de la conférence. Là où nous essayons d’innover, c’est dans la valorisation des résultats de leur recherche. Nous ne souhaitons pas être les seuls à les lire et les discuter, c’est pourquoi nous avons intégré au séminaire des représentant·es du monde muséal et des chercheurs étrangers. Les premiers œuvrent à la réalisation d’une exposition au Musée historique de Lausanne (MHL)1sur les événements de 1923, tandis que les seconds sont au cœur d’un important projet de recherche international, « The Lausanne Project », et nourrissent un site internet2 qui propose notamment de nombreux articles de vulgarisation sur le sujet.
Le premier intérêt d’une telle collaboration est d’offrir aux productions des étudiant·es une certaine résonance en dehors du séminaire. Au-delà de leur éclairage apporté aux travaux des étudiant·es, les acteurs du musée sont friands de leurs pistes de recherche alors même qu’ils travaillent parallèlement sur la maquette de la future exposition. Pour le semestre à venir, nous envisageons de prolonger cette collaboration par la création d’une cartographie de la conférence. Les étudiant·es et nous élaborerons une base de données des principaux lieux de Lausanne 1923 que le MHL sera ensuite susceptible de convertir en une carte interactive pour l’exposition.
Enfin, l’interface du « Lausanne Project » assurée par nos collègues chercheurs permet elle aussi de prolonger l’existence de ces travaux. Leurs résultats sont rédigés sous la forme de courts billets de blog dont certains sont retenus et publiés. Pour un exemple parmi d’autres, des étudiant·es ont partagé une analyse stimulante au sujet des usages mémoriels dont a fait objet la table qui a servi à la signature du Traité de Lausanne3. Offerte par Pascal Couchepin en guise de cadeau diplomatique à la Turquie en 2008, ce geste a suscité l’indignation de communautés kurdes et arméniennes en raison des conséquences que le Traité de Lausanne a eu pour la préservation de leurs droits et territoires.
Plus généralement, l’ensemble des projets de recherche menés par les étudiant·es ont donné lieu à des découvertes intéressantes. Certain·es ont insisté sur l’importance du rôle souvent très invisible – ou invisibilisé – des femmes durant la conférence, en analysant la trajectoire de journalistes, secrétaires, étudiantes, femmes de chambre, militantes ou encore travailleuses du sexe. D’autres se sont penchés sur les opérations de catégorisation effectuées par la police pour repérer et réprimer certains acteurs perçus comme des menaces politiques. Enfin, des étudiant·es se sont ressaisi du scandale politique de l’assassinat du diplomate russe Vatslas Vorovsky sous l’angle de son traitement médiatique par la presse régionale de gauche et de droite4.
Guillaume Beausire
[1] https://www.lausanne.ch/vie-pratique/culture/musees/mhl
[2] https://thelausanneproject.com/
[3] https://thelausanneproject.com/2021/12/31/returning-the-tables/