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Le troisième article de notre série sur l’expérimentation animale est consacré à Gerasimos Sykiotis, professeur à la Faculté de biologie et de médecine, spécialiste de la thyroïde. Le chercheur présente ses travaux, des hypothèses aux tests.
Il n’y aurait pas meilleure défense que l’attaque. Dans le corps humain aussi, souvent quand le système dysfonctionne. C’est le cas du cancer, qui utilise parfois la même méthode de défense que les cellules saines pour réussir à se protéger et à se propager. Un système bien connu de Gerasimos Sykiotis, professeur associé à la FBM, médecin adjoint au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV.
Sur quoi vos recherches se concentrent-elles ?
Mes recherches se concentrent sur la thyroïde et ses maladies, très fréquentes chez la population en général, surtout chez les femmes. Elles visent à comprendre le fonctionnement et le dysfonctionnement de cette glande et plus spécifiquement comment les défenses antioxydantes, réparatrices, des cellules du corps humain sont impliquées dans la protection de la thyroïde. Il est question de savoir si et comment ces défenses peuvent être exploitées dans la prévention et le traitement des maladies. Le blocage du système interne de défense antioxydante, afin de sensibiliser le cancer à la chimiothérapie et à d’autres traitements anticancéreux, constitue l’une des lignes de recherche. Il faut savoir que la défense antioxydante marche dans les deux sens. Elle protège les cellules normales contre les maladies, mais, en présence de cellules transformées, cancéreuses par exemple, celles-ci exploitent cette même défense pour se protéger et se propager.
Pourquoi avez-vous besoin d’expérimentation animale et comment procédez-vous ?
Nous travaillons notamment avec des cellules thyroïdiennes en culture, mais nous menons aussi des recherches avec des souris. Les deux modèles sont complémentaires. Chez l’animal, nous observons des choses qu’il est impossible de faire sur les cellules en culture. Nous utilisons plusieurs groupes de souris, chacun avec un système oxydant différent : un normal, un bloqué et un activé. Nous comparons le taux d’hormones et l’aspect de la thyroïde entre ces différents groupes pour déduire comment le système de défense impacte son fonctionnement, afin de comprendre si la présence ou l’activation du système antioxydant est bénéfique ou délétère. Sur cette base, nous pouvons tester des hypothèses. Par exemple pour savoir si, l’activation ou le blocage du système par des substances naturelles ou des médicaments, peuvent s’avérer bénéfiques dans la prévention ou le traitement de maladies thyroïdiennes.
Quels modèles alternatifs explorez-vous ?
Nous utilisons aussi bien des lignes cellulaires classiques, qui sont cultivées en deux dimensions (2D), que des cellules en trois dimensions (3D). Une des particularités de la thyroïde est que, pour qu’elle puisse produire ses hormones, ses cellules forment des structures en trois dimensions, appelées follicules. Des chercheurs de Bruxelles ont développé une méthode pour permettre de fabriquer des follicules en trois dimensions à partir de cellules souches de souris. Grâce à un partenariat privilégié entre l’UNIL et l’ULB, un membre de notre laboratoire a pu se former à cette technologie pour que nous l’utilisions à notre tour. Cela nous permet, dans certaines situations, de mieux valider nos résultats 2D en 3D et d’étudier certains phénomènes qui ne sont pas présents en deux dimensions. Mais à l’heure actuelle, cela ne permet pas de remplacer totalement l’utilisation d’animaux. Nos recherches sont aussi en partie financées par la Fondation 3R, dont les principes consistent à réduire le recours à des animaux, à améliorer les méthodes de prise en charge et à utiliser des modèles alternatifs. Rétrospectivement, je dirais que nous avons été trop optimistes quand nous nous sommes lancés sur cette voie. Nos attentes étaient trop élevées. La réalité nous montre que les nouvelles méthodes et les nouvelles technologies sont pertinentes et prometteuses, mais qu’elles ne nous permettent pas de répondre à toutes nos questions. Cela va continuer à s’améliorer, mais je ne pense pas que nous serons capables, dans un futur prévisible, de nous passer complètement des animaux. À un certain stade, il nous faut tester nos recherches sur un organisme complet, et pas seulement sur des cellules ou un organe isolé.
Quels sont les domaines d’application de vos recherches et les résultats de celles-ci ?
Nous espérons pouvoir manipuler le système via des substances naturelles ou par des médicaments afin d’obtenir des résultats bénéfiques chez les patients. En ce moment, nous testons une substance sur des souris, utilisée en premier lieu sur des cellules, pour voir si elle impacte la glande thyroïde. Il s’agit d’une substance issue du brocoli, très riche en substances antioxydantes, que nous administrons dans l’eau que boivent les souris. Nous étudions ceci afin de savoir si, sur le long terme, cette substance a un impact sur la thyroïde ou sur d’autres organes. Nous avons constaté un effet bénéfique sur les cellules, pas encore sur les souris dans la mesure où cette phase de recherche est encore en cours. Tout ceci répond une fois encore aux objectifs 3R, en sachant qu’un remplacement total des animaux n’est pas possible. Reste que nous ne faisons pas n’importe quoi avec les animaux. Nous sommes régis par un cadre légal très strict en Suisse et sommes aussi soumis à des contrôles pour vérifier que nous respectons les règles. Alourdir le dispositif plus qu’il ne l’est déjà serait contreproductif et il serait illusoire de penser que la Suisse tirerait un avantage en abandonnant l’expérimentation animale, bien au contraire.