Des travaux réalisés dans les déserts du Botswana et de Mongolie montrent que l’analyse d’ADN environnemental et l’utilisation de pièges photographiques constituent deux approches complémentaires pour assurer un suivi efficace d’espèces en danger comme la panthère des neiges, l’ours brun du Gobi ou le guépard. Les recherches, menées au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, ont été publiées récemment dans la revue «Environmental DNA».
Les déserts représentent un cinquième des terres émergées. Les études et recensements relatifs à ces écosystèmes restent cependant limités, surtout dans les zones reculées. Philippe Christe, professeur associé au Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, et Luca Fumagalli, maître d’enseignement et de recherche au DEE et au Centre universitaire romand de médecine légale, se sont intéressés à la faune de deux régions particulièrement arides et isolées: la Great Gobi A Strictly Protected Area, au sud-ouest de la Mongolie, et la réserve de chasse du Kalahari central, au Botswana. La première abrite des espèces vulnérables comme la panthère des neiges et sert de dernier refuge à des animaux en danger critique d’extinction comme l’ours brun du Gobi ou le chameau sauvage de Tartarie. La seconde héberge également des espèces emblématiques et menacées comme l’éléphant d’Afrique, le guépard ou encore la hyène brune.
Quand photos et ADN se complètent
Au cœur de l’étude, menée en collaboration avec l’Université nationale de Mongolie et l’Université internationale des sciences et technologies du Botswana, la comparaison de deux méthodes pour sonder les vertébrés: les pièges photographiques et l’ADN environnemental. Cette dernière approche consiste à recueillir des échantillons, non pas directement sur l’animal, mais dans son milieu naturel (eau, glace, air ou sol, par exemple). Dans ce cas précis, les chercheurs se sont concentrés sur les mares, flaques et autres plans d’eau qui jalonnent les déserts; des passages obligés pour un grand nombre d'animaux terrestres qui, en s’y abreuvant ou s’y baignant, déposent leur ADN.
«Le but était d’évaluer si la détection de la faune locale à l’aide d’ADN environnemental récolté dans les rares points d’eau était comparable à la détection par des pièges photographiques placés autour de ces mêmes étangs», explique Philippe Christe. Et son collègue Luca Fumagalli de compléter: «La collecte d’ADN de qualité suffisante est une opération très délicate dans ce type de régions en raison des changements extrêmes de températures, de l’exposition intense aux UV et des difficultés techniques liées à la filtration des eaux troubles. Nous n’étions pas certains, a priori, que cette méthode serait pertinente dans des conditions si hostiles et contraignantes.»
Pourtant, la comparaison des images capturées durant 40 jours et des mélanges complexes d'ADN présents dans les échantillons d’eau (un pour chacune des 14 mares, 10 dans le Gobi et 4 dans le Kalahari) a été fructueuse. Plus de la moitié des espèces de mammifères repérées par les caméras l’étaient aussi par les analyses génétiques. À l’instar de musaraignes ou de hérissons vivant dans le désert de Gobi, certains individus, trop petits pour déclencher les appareils, ont même été décelés uniquement grâce à la présence de leur ADN dans l’eau.
Les analyses, effectuées en partie par Eduard Mas-Carrió et Judith Schneider, co- premier·ère·s auteur·e·s de la publication et doctorant·e·s dans le groupe de Luca Fumagalli, montrent également que la détectabilité des espèces par des techniques d’ADN environnemental dépend de plusieurs facteurs. Les gros animaux sont mieux repérés (ils déposent davantage d’ADN lors de leur passage), tout comme ceux venus s’abreuver en groupes ou juste avant que les chercheurs ne prélèvent l’eau (la durée de persistance de l'ADN en milieu aquatique étant, au mieux, d'une douzaine de jours).
Les moustiques emboîteront le pas aux mammifères
Ces investigations mettent en évidence le potentiel des analyses par ADN environnemental dans des milieux en proie à des conditions climatiques extrêmes et leur complémentarité avec les pièges photographiques. La combinaison de ces deux approches permet de répertorier et de surveiller de nombreuses espèces menacées. Des éléments indispensables pour planifier et élaborer des stratégies de conservation optimales.
Même si l’équipe n’envisage pas de suite directe à cette publication, elle émet des recommandations utiles à d’autres chercheurs pour de futurs biomonitoring intégrant le recours à de l’ADN environnemental dans ces régions désertiques.
Le matériel génétique récolté pourrait en outre permettre d’examiner n’importe quelle espèce présente sur place. Philippe Christe, spécialiste des relations hôtes-parasites, de la malaria aviaire en particulier, réutilisera ainsi les échantillons du Botswana, en quête d'ADN de moustiques. «Sur le même modèle, l’idée sera de comparer les données extraites de l’eau avec les spécimens que nous avons effectivement capturés sur place dans le désert du Kalahari en collaboration avec le Dr Olivier Glaizot du Musée cantonal de zoologie», conclut le biologiste.