Lauréate d'une très prestigieuse bourse Marie Sklodowska-Curie, la Dr. Anouk Jasmine Albien a rejoint l'équipe du Centre de recherche en psychologie de l'orientation (CePCO) pour mener ses recherches sur les processus d'adaptation des travailleur·euse·s migrant·e·s qualifié·e·s en Suisse.
Dr. Albien, pouvez-vous décrire votre parcours en quelques mots ?
Mes parents sont allemands mais je suis née en Afrique du Sud. J’ai donc la chance d’avoir un parcours multiculturel. L'Afrique du Sud compte 11 langues et diverses croyances, religions et races, ce qui signifie que j'ai été exposée à la diversité dès mon plus jeune âge. Cela a attisé ma curiosité pour les gens. Mon intérêt pour la psychologie du travail et des organisations est apparu parce que j'avais constaté qu'un objectif de vie ou un objectif professionnel pouvait réellement aider les gens à trouver une direction et leur fournir un point d'ancrage pour surmonter les difficultés. Cet intérêt a évolué au fil de mon parcours et a abouti à la création d'interventions pour les personnes marginalisées afin qu'elles puissent accéder à des opportunités de travail durables, mais aussi pour trouver des moyens de créer de meilleurs environnements de travail qui soient inclusifs et contribuent au bien-être et à la satisfaction professionnelle des employé·e·s.
Plus précisément, je me suis intéressée à la vulnérabilité et à la résilience, car je pense qu'elles sont fortement liées. L'idée est de travailler activement avec la vulnérabilité et la résilience pour identifier les domaines à développer afin de favoriser un fonctionnement psychologique sain, de développer des environnements de travail épanouissants et durables, plutôt que de négliger ou stigmatiser les vulnérabilités. J'ai toujours pensé que dans les situations traumatiques ou de crise, les gens deviennent vulnérables et que, en tant que psychologues du travail et des organisations, nous devons comprendre ces mécanismes et créer des interventions qui empêchent les pertes de ressources de se produire.
Que signifie l'obtention d'une bourse Marie Sklodowska Curie pour vous en terme de carrière ?
J'assistais déjà à des séances d'information sur la bourse Marie Curie lorsque j'étais doctorante en Afrique du Sud. Elle a toujours figuré sur la liste des bourses auxquelles je voulais postuler et je rêvais de faire partie des 14 % de candidat·e·s sélectionné·e·s. J’ai donc été très heureuse et reconnaissante d'avoir reçu cette opportunité. Si la bourse Marie Curie est si importante pour moi, c'est parce qu'il s'agit d'une bourse de formation qui permet à des chercheur·e·s expérimenté·e·s d'obtenir une subvention pour mener à bien un projet indépendant, tout en participant à des activités de mise en réseau et de formation afin de favoriser le développement universitaire. Cette bourse me permet de constituer une communauté de recherche internationale, de travailler avec diverses méthodes de recherche pour approfondir mon expertise, de publier dans des revues universitaires de premier plan, de travailler avec des conseillers d'orientation professionnelle et des praticiens des ressources humaines, et de m'efforcer de devenir professeur·e à l'avenir.
Votre projet de recherche actuel porte sur les trajectoires de développement de carrière. Pouvez-vous nous expliquer en quoi il consiste en quelques mots, et pourquoi vous le menez à la Faculté de sciences sociales et politiques de l’Unil ?
Je dois remercier le Professeur Jérôme Rossier, que j’ai rencontré par l'intermédiaire du « European Doctoral Programme for Career Guidance and Counselling » (ECADOC) et qui a joué un rôle essentiel dans le développement de ma carrière. Au fil des ans, il a été une source d'inspiration et de soutien. J'ai aussi été attirée par les recherches menées au CePCO. L'équipe produit des recherches pionnières dans le domaine de la psychologie professionnelle. J'apprécie aussi beaucoup le fait qu'il y ait un centre d'orientation professionnelle et que les étudiant·e·s y soient formé·e·s sous supervision. En outre, le CePCO a des liens avec d'autres organisations importantes telles que LIVES et Unitwin, qui sont toutes deux des réseaux internationaux de recherche et de promotion du développement de carrière et d’environnements de travail durables. L'Institut de psychologie et la Faculté SSP dans son ensemble ont également attiré mon attention en raison de l'ouverture d'esprit de la recherche, en termes d'étendue et de profondeur de l'éventail des sujets traités et des méthodes de recherche éclectiques.
Votre projet s'inscrit dans le cadre des initiatives phares de la stratégie européenne 2020, à savoir "promouvoir l'emploi, réduire la pauvreté et l'exclusion sociale pour informer les pratiques de gestion des ressources humaines et d'orientation professionnelle". Parlez-nous des impacts attendus ?
J'ai une formation en psychologie du travail et des organisations, et je voulais examiner la migration sous cet angle. Je travaille en tant que conseillère d'orientation professionnelle spécialisée depuis plus de 10 ans et, à mes débuts, je travaillais avec des jeunes marginalisé·e·s issu·e·s d'un milieu socio-économique défavorisé en Afrique du Sud. Ce que je ne savais pas à l'époque, c'est que les jeunes avec lesquel·lle·s je travaillais étaient toutes et tous des migrant·e·s et qu'elles et ils étaient venu·e·s à Stellenbosch pour trouver de meilleures opportunités. Cela signifie que je travaille en fait avec des migrant·e·s depuis très longtemps. La raison pour laquelle j'ai choisi la migration est que les gens se déplacent à travers le monde pour trouver des opportunités de travail durables et meilleures. Ce phénomène est plus extrême chez les réfugié·e·s ou les demandeur·euse·s d'asile, mais il est également courant chez les migrant·e·s qualifié·e·s.
La migration est une expérience unique car elle implique de multiples processus psychologiques qui, soit aboutissent à une expérience d'expatriation réussie pour l'individu·e et l’entreprise qui l’a employé·e, soit peuvent conduire à un échec de l'expatriation. L'adaptation des migrant·e·s n'a pas encore été analysée dans le temps, pas plus que les facteurs de stress et les ressources associées. Cela signifie que nous n'avons pas vraiment une compréhension du processus d'ajustement ni de son évolution dans le temps. Dans le cadre de la recherche sur les transitions de carrière, des études antérieures ont montré qu'il existe des moments charnières ou des points d'inflexion dans les carrières des personnes et que ces moments peuvent avoir un impact durable sur les trajectoires de carrière des personnes en termes de santé, de bien-être, de satisfaction au travail et d'emploi durable.
La migration est une forme de transition de carrière qui pose des défis aux individus à de multiples niveaux lorsqu'ils entrent dans un environnement étranger, avec une langue et une culture différentes, et qu'ils doivent simultanément faire preuve de productivité professionnelle. Par conséquent, il convient d'examiner diverses variables, notamment les aspects professionnels et non professionnels, ainsi que leur interaction dans le temps, et de déterminer comment les environnements de travail peuvent favoriser au mieux l'intégration d'une main-d'œuvre internationale, qu'il s'agisse d'un environnement de travail numérique ou en face à face. Dans le cadre de ma bourse Marie Curie, qui court jusqu'en 2023, j'espère commencer à examiner certaines de ces variables afin de mieux comprendre les processus de migration et de fournir des indications pratiques aux praticien·nne·s des ressources humaines et aux conseiller·ère·s d'orientation professionnelle.