2021 marque les 50 ans du droit de vote des femmes. À cette occasion, l’ouvrage "Femmes et politique en Suisse, Luttes passées, défis actuels" revient sur l’avancée des femmes dans l’espace politique entre 1971 et 2021.
La direction scientifique de cet ouvrage a été confiée à Sabine Kradolfer (HES-SO) et Marta Roca i Escoda (Centre en Études Genre, Institut des sciences sociales). Cette dernière nous présente quelques-uns des résultats obtenus par les chercheuses ayant participé à ce projet.
Au niveau fédéral, les Suissesses ont acquis les droits de vote et d’éligibilité en 1971 : pourquoi est-ce arrivé aussi tard en comparaison internationale ? *
L’acceptation à 65,7% du référendum du 7 février 1971 a marqué l’aboutissement d’un long processus de mobilisation et de tentatives réitérées pas moins de 90 fois dans les urnes à différents niveaux en Suisse. Ces tentatives sont longtemps restées infructueuses en raison de l’importance de la démocratie directe dans le système politique. En effet, l’acquisition de la pleine citoyenneté des Suissesses nécessitait le vote de la majorité des électeurs – en l’occurrence des hommes – par votation populaire.
En 1969, lorsque s’est posée la problématique de la ratification par la Suisse de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) avec une réserve pour le vote des femmes, ce décalage est apparu comme un éclatant et insoutenable anachronisme : la Constitution fédérale n’était pas conforme aux standards de la CEDH, particulièrement en matière d’égalité entre les sexes. Le débat sur la CEDH et les mobilisations qui l’ont accompagné, notamment celles des suffragettes, ont alors abouti à l’organisation d’un nouveau scrutin sur le suffrage féminin au niveau fédéral le 9 février 1971.
Malgré cette acquisition, les premières candidates ont rencontré de nombreuses difficultés quant à leur nomination, leurs campagnes électorales et leur (non)élection.
* Ndlr : La première moitié du XXème siècle a vu de nombreux pays, comme les États-Unis, la France ou le Brésil, accorder le droit de vote aux femmes.
Le fait que les femmes puissent voter et que davantage assument des responsabilités politiques a-t-il eu un impact sur l’agenda politique suisse ?
Cela a permis d’enfin accorder de nombreux droits relevant de la citoyenneté des femmes, comme l’illustrent la réforme du droit matrimonial instaurant une égalité dans le couple, et grâce auquel les femmes peuvent souscrire un crédit, ouvrir un compte bancaire, ou exercer une activité lucrative hors de leur maison sans obtenir au préalable l’autorisation de leur époux (1988), le divorce « sans faute » (2000), la dépénalisation de l’avortement (2001), ou l’instauration du congé maternité (2003).
L’inscription de l’égalité entre femmes et hommes dans la Constitution en 1981 ainsi que la Loi sur l’égalité (Leg, 1996) constituent également des avancées majeures auxquelles ont largement contribué les mouvements de la cause des femmes. Ceux-ci continuent de se mobiliser puisque si l’égalité des droits est acquise, le combat est encore loin d’être gagné en termes d’égalité de fait.
Malgré la présence de 3 femmes au Conseil fédéral et d’une forte progression des femmes au Conseil national lors des dernières élections, la parité est loin d’être atteinte comme en témoignent les chiffres du Conseil des États, ainsi que des exécutifs et législatifs cantonaux et communaux*. Comment expliquer une telle situation ?
Au sein de la sphère politique, comme dans les autres domaines de la société, on assiste à la reproduction des inégalités et stéréotypes de genre qui montrent une domination masculine notamment dans les sphères du pouvoir. Les femmes se retrouvent confrontées aux codes d’une culture politique qui valorise les valeurs dites masculines autant au niveau des conventions langagières, des formes de communication politique, des structures temporelles, que des comportements sociaux et corporels.
Cette culture est véhiculée par diverses sphères de la société, notamment par l’espace médiatique suisse qui représente souvent les femmes élues de manière très stéréotypée. Leurs corps, leurs tenues vestimentaires, et leurs supposées qualités intrinsèques de femmes ou de mères sont mises au premier plan alors que leurs compétences politiques sont minimisées.
Le travail colossal des femmes militantes et des femmes politiques a porté ses fruits. Lors des élections de 2019 au Conseil national, on assiste à une progression des femmes dans presque tous les partis. La représentation des femmes augmente d’environ dix points de pourcentage dans les deux chambres fédérales : à 42 % au Conseil national et à 26 % au Conseil des États. Si ces chiffres sont réjouissants, ils indiquent qu’il y a encore des bastions masculins où la présence des femmes fait face à une certaine résistance.
Quel rôle joue la sphère académique dans le domaine politique et plus concrètement celui de l’égalité ?
Si nous regardons le contexte de la politique vaudoise, on pourrait penser que l’Université de Lausanne, notamment les sciences sociales, y sont pour quelque chose. Pensons par exemple à Mme Rebecca Ruiz, Conseillère d’État ou à Mme Maribel Rodriguez, Cheffe du Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes de l’État de Vaud, qui ont toutes deux une maîtrise en sciences sociales. En outre, certain·e·s étudiant·e·s siègent au Conseil communal de la Ville de Lausanne. Je suis persuadée que les cours en études genre dispensés dans notre Faculté ont une utilité sociale et politique très importante qui va au-delà de leur intérêt scientifique.
Pour en savoir plus