Un prix pour avoir cherché la petite bête

Hugo Darras est le lauréat 2021 du Prix Jeune Chercheur·euse décerné par l’Union internationale pour l’étude des insectes sociaux (section française). Postdoctorant au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, il est primé pour ses travaux sur les mécanismes de reproduction chez les fourmis. Rencontre.

Hugo Darras dans la réserve naturelle de la Grande Cariçaie, au bord du lac de Neuchâtel © DR

Les fourmis, une évidence. Sa chambre a longtemps regorgé de colonies. Une vocation familiale? Certainement pas. Sa maman est professeure de lettres, son père de dessin. Sans détour, cet amour d’enfance mène Hugo Darras vers des études d’ingénieur agronome, réalisées à AgroParisTech, l’institut national français des sciences et industries du vivant et de l’environnement. En 2012, il entame un doctorat à l’Université libre de Bruxelles et se frotte à la génétique, «un outil inestimable pour investiguer les aspects cachés de la vie des fourmis», souligne-t-il. Le jeune myrmécologue consacre sa thèse aux modes reproductifs de ses protégées, plus particulièrement à l’évolution de systèmes atypiques. Son modèle d’étude: les fourmis Cataglyphis, un genre vivant dans les lieux arides du bassin méditerranéen, seul capable de survivre à des températures atteignant les 60°C.

Jamais l’une sans l’autre

Focalisé sur les Cataglyphis hispanica, une espèce endémique du sud de l’Espagne, Hugo Darras perce le secret de leur stratégie reproductrice: l’hybridogenèse sociale. «Nous avons découvert que deux lignées génétiques, morphologiquement identiques, coexistent et, surtout, qu’elles sont interdépendantes», explique le biologiste. Chacune constitue sa propre colonie, tout en restant à proximité de celle de l’autre. Car pour engendrer des ouvrières, les reines de la première lignée doivent impérativement s’accoupler avec des mâles de la seconde lignée. Et inversement. Les ouvrières sont donc le fruit du croisement entre les deux lignées: des hybrides (stériles).

Par contre, les insectes changent de mode opératoire lorsqu’il s’agit de créer de nouveaux individus capables de se reproduire (des reines et des mâles). Ceux-ci sont issus de la reproduction asexuée – ils se développent à partir d’un œuf de reine non fertilisé par le spermatozoïde d’un mâle – et héritent ainsi des gènes maternels exclusivement. En d’autres termes, les mâles sont uniquement utilisés pour produire des ouvrières, stériles. Ils ne transmettent jamais leur patrimoine génétique à la génération suivante. «Nous tentons de comprendre l’origine et les mécanismes de ces systèmes. Les raisons de leur maintien au cours du temps restent en grande partie mystérieuses. On s’attendrait plutôt à un cul-de-sac évolutif», note le chercheur.

Les fourmis "Cataglyphis hispanica" vivent dans des nids souterrains. Hugo Darras (ici en Andalousie) cherche une reine, généralement cachée à un mètre de profondeur. © DR

Fourmis folles pour un fou de fourmis

Une bourse Marie-Curie en poche, Hugo Darras intègre le Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL (groupe de Laurent Keller) en 2017 en tant que postdoctorant. Toujours dévolus aux systèmes dans lesquels les ouvrières sont des hybrides issus de lignées génétiques distinctes, ses travaux actuels se concentrent sur la fourmi folle noire (Paratrechina longicornis). Surnommé ainsi en raison de ses déplacements erratiques, cet insecte invasif originaire d’Asie se reproduit selon un système «double clonal»: les reines sont des clones de leur mère, les mâles des clones de leur père. Par contre, les deux lignées (reine et mâle) se croisent pour donner naissance à des ouvrières.

Honorer la productivité et l’originalité

Lauréat 2021 du Prix Jeune Chercheur·euse de la section française de l’Union internationale pour l’étude des insectes sociaux, Hugo Darras recevra sa distinction, virtuellement, durant l’assemblée générale de l’association le 1er décembre 2021. Il présentera également ses recherches durant une heure par visioconférence.

Remis tous les deux ans, le prix récompense un·e jeune chercheur·euse francophone pour sa productivité et pour l'originalité de ses travaux sur les insectes sociaux. Les candidat·e·s doivent avoir soumis leur thèse il y a moins de cinq ans et ne pas être au bénéfice d’un poste fixe.

Un autre biologiste de l’UNIL a été primé par le passé: en 2017, Romain Libbrecht, actuellement professeur assistant à l’Université de Mainz (Allemagne) et ancien doctorant et postdoctorant (2007 à 2016) dans le groupe de Laurent Keller, a été récompensé pour ses travaux sur la division du travail chez les fourmis.

Publié du 26 novembre 2021 au 31 décembre 2021
par Mélanie Affentranger (Communication FBM)
Visibilité:
archivée