Assistante diplômée en français moderne et doctorante en études théâtrale à l'UNIL, Josefa Terribilini vient d’obtenir une bourse Doc.Mobility du FNS pour un séjour à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Elle évoque ses recherches et son parcours.
Comment décririez-vous votre domaine de recherche ?
Mes recherches relèvent des études théâtrales, domaine qui permet de croiser de nombreuses approches : on peut s’intéresser aussi bien aux textes dramatiques dans une perspective poétique ou rhétorique, qu’à la représentation, au contexte matériel de production des œuvres (architecture des salles de théâtre, costumes, décors, nombre et identité des comédien·ne·s) ou à la réception. Je combine ces différents aspects dans le cadre de ma thèse qui s’intéresse aux effets de foule et aux personnages collectifs dans le genre tragique en France au XVIIe siècle (des années 1630 aux années 1680). L’enjeu est d’insister sur la dimension « spectaculaire » des tragédies, qui sont loin d’être aussi dépouillées ou dépeuplées qu’on le croit d’ordinaire. Mon corpus mêle à la fois des dramaturges « canoniques » (Racine, Corneille) et des auteur·e·s considéré·e·s comme « mineur·e·s » (Mairet, Du Ryer, Villedieu, etc.).
Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
J’ai toujours été passionnée par le théâtre, d’abord comme spectatrice et comédienne, et plus récemment comme metteuse en scène. Quand je suis arrivée à l’UNIL, je me suis donc tout naturellement tournée vers des séminaires consacrés à des auteur·e·s dramatiques et des questions théâtrales. J’ai ensuite choisi d’effectuer la spécialisation en dramaturgie et histoire du théâtre qui m’a amenée vers mon mémoire de maîtrise. Ce mémoire, qui a donné lieu à un essai, À chœur perdu(2020), étudie la disparition et les traces du chœur antique dans plusieurs tragédies françaises du XVIIe siècle inspirées de tragédies grecques. Il m’a conduite à m’intéresser plus globalement au collectif dans le genre tragique.
Le théâtre universitaire a également joué un grand rôle. Au début de mes études de Master, j’ai intégré plusieurs troupes universitaires en tant que comédienne. Dans ce cadre, j’ai fait des rencontres qui m’ont, entre autres, conduite à participer à l’organisation du Lausanne Shakespeare Festival. Avec Marek Chojecki, j’ai ensuite fondé ma propre compagnie de théâtre universitaire (la Cie Acte V), avec laquelle je me suis essayée à la mise en scène.
Je n’ai jamais encore mis en scène les pièces que j’étudie, mais il me paraît nécessaire d’explorer les deux pans – théorique et pratique – qui se nourrissent mutuellement. Pour moi, la pratique de la mise en scène rend sensible à des enjeux qui échappent souvent aux approches purement théoriques des textes. Inversement, la recherche permet de renouveler la mise en scène des pièces.
Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?
Un séjour Erasmus+ à Trinity College Dublin, réalisé durant mes études de Bachelor, alors que je ne savais pas encore où j’allais effectuer mon Master, m’a permis de mesurer la richesse de l’offre en études théâtrales de l’UNIL. J’ai donc décidé de revenir à Lausanne pour suivre le programme de spécialisation en dramaturgie et histoire du théâtre.
Cette spécialisation m’a donné l’occasion de faire des stages pratiques, notamment à la Manufacture, et de me former à la critique théâtrale, dans le cadre de l’Atelier critique. À l’Atelier critique, j’ai œuvré comme rédactrice et chargée de diffusion. J’y ai également rencontré Lise Michel, qui a ensuite dirigé mon mémoire de maîtrise et qui dirige à présent, avec Marc Escola, ma thèse de doctorat.
En quoi consiste le projet soutenu par le Fonds National Suisse ?
La bourse Doc.Mobility du FNS, grâce à laquelle je partirai à Paris 3 l’année prochaine, me permettra de rencontrer des équipes françaises qui travaillent sur des thématiques proches des miennes et de réaliser un travail d’archives lié à l’histoire des spectacles. Les sources contiennent en effet des informations sur le nombre et l’identité des figurant·e·s et des petits rôles dans les œuvres tragiques du XVIIe siècle.
Il me paraît important de bénéficier de cette expérience à Paris dans le cadre de mon doctorat, afin d’échanger avec d’autres équipes de recherche et de nourrir mon travail dans un autre environnement. C’est dans cette optique que j’ai déposé une demande de bourse Doc.Mobility, avant que le FNS ne supprime cet instrument. Je suis d’ailleurs contente de constater qu’après sa disparition, l’UNIL a rapidement mis en place des bourses pour donner malgré tout à de jeunes chercheur·euse·s la possibilité de faire un séjour de mobilité.
Quels sont vos projets à plus long terme ?
Pour l’instant, je préfère rester ouverte à toutes les possibilités professionnelles. Je ne tiens pas absolument à continuer dans le milieu académique. Je suis très heureuse d’aborder l’objet théâtral dans une perspective théorique, mais combiner aspects pratiques et recherche en lien plus direct avec la création me plairait beaucoup. Je me verrais bien travailler en tant que dramaturge dans une institution théâtrale ou dans le domaine de la politique culturelle.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre parcours ?
La concurrence exacerbée qui caractérise le monde universitaire n’est pas évidente à vivre, surtout au début d’une thèse, quand on sort d’un milieu estudiantin relativement protégé. J’ai eu l’occasion d’en faire les frais et de me trouver dans des situations très délicates au niveau relationnel. Et dans ce genre de cas, être une jeune chercheuse n’aide pas à se faire entendre de la hiérarchie. Les conflits entre chercheur·euse·s, qui s’expliquent par le peu de postes disponibles, mais aussi par l’exigence implicite d’hyper-productivité en termes de publications, mènent à des situations anxiogènes, à des jeux de pouvoir et de chasses gardées que je trouve regrettables dans un monde universitaire qui met en avant le partage du savoir.
Pour plus d’informations
Lieu(x) commun(s): quand les œuvres rassemblent, journée d’études, co-organisée par Josefa Terribilini, Alice Bottarelli et Hélène Cordier :
Josefa Terribilini, À chœur perdu: les traces du chœur antique dans la tragédie française du XVIIe siècle, Lausanne: Archipel Essais, 2020